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LE TROUBADOUR

RAIMON-JORDAN

VICOMTE DE SAINT-ANTONIN

LE TROUBADOUR

RAIMON-JORDAN

VICOMTE DE SAINT ANTONIN

EDITION CRITIQUE

ACCOMPAGNÉE D'UNE ÉTUDE SUR LE DIALECTE

PARLÉ DANS LA VALLÉE DE L'AVEYRON

AU Xlle SIÈCLE

HILDING KJELLMAN

i PPSALA PARIS

ALMQVIST & WIKSELLS EDOUARD CHAMPION

BOKTR.-A.-li. 5, quai malaquais, 5

m si

UPSAL 1922 IMPRIMERIE ALMQV1ST & W1KSELL

AVANT-PROPOS

L'idée de cette édition des poésies de Raimon- Jordan ni a été suggérée par M. Joseph Ang/ade, professeur à l'Université de Toulouse, dont il m'a été donné de suivre pe?idant quelque temps les cours à l'occasion d'un séjour dans le Midi, il y a deux ans. Je saisis cette occasion pour exprimer a M. Anglade ma profonde gratitude du charmant accueil qu'il m'a fait à Toulouse et de l'intérêt qu'il n'a cessé de me témoigner. Ses précieux conseils m ont été d'une inestimable valeur, et surtout je lui suis obligé a' avoir bien voulu lire mon livre en épreuves, ce qui lui a valu mainte amélioration.

J'ai commencé mes recherches a Toulouse la riche littérature locale était à ma disposition; ce séjour m' a fourni aussi l'occasion d'une courte visite à Saint- Antonin, et dans les archives de cette ville, si fière encore de son troubadour, j'ai puisé plus d'une indication de valeur pour mon travail. Apres un long intervalle, amené par d'autres travaux, je l'ai repris cet été, et il ne s'achève qu'aujoura'hui, bien plus tard, hélas, que je ne l'aurais voulu.

Pour l' établissement du texte critique j'ai utilisé tous les mss. connus; les copies ont été faites par moi-même, soit directe m eut sur les pièces originales, soit a' après des photographies que j'ai obtenues grâce à l' obligeance des fonctionnaires des bibliothèques oit sont conservés ces mss.

Sans compter les éditions diplomatiques de certains mss. dont, bien entendu, je me suis servi quelques- unes des poésies de Raimo>iJordau ont été déjà publiées, c e sont celles qui ne sent conservées que dans un seul lus.: pour celles-ci. mon travail s'est donc borné à collation- uer les textes imprimés sur l' original : le plus souvent foi adopté les corrections des éditeurs de sorte qu'on trouvera dans ces cas un texte qui ne diffère que très peu de celui publié auparavant.

J'ai longtemps Iiésité à traduire les pièces proven- çales dans une langue qui n'est pas la mienne. Si je l'ai osé, c'est que j'ai trouvé un collaborateur dans Mlle Karin Ringenson qui, avec autant de bonne grâce que de compétence, s'est dévouée au travail de l'interprétation. Qu'il vie soit permis de la remercier bien sincèrement de l'aide excellente qu'elle m'a prêtée.

Stockholm, août, IÇ22.

H. K.

La légende de saint Antonin.

INTRODUCTION

i. SAINT-ANTONIN ET SES VICOMTES

Dans le Midi, si riche en monuments du moyen-âge, Saint-Antonin mérite, par l'âge et la beauté des siens, une place d'honneur. C'est une petite ville comptant aujourd'hui 3.5CO habitants. Elle est située au confluent de l'Aveyron et de la Bonnette dans une vallée des plus pittoresques. On y arrive facilement de Montauban par un petit chemin de fer secondaire qui joint cette ville et Lexos, situé au coin septentrional du département de Tarn-et-Garonne. Faisons ce voyage! Après avoir traversé une contrée ouverte et d'une riche culture, nous entrons dans la vallée de l'Aveyron dont le chemin de fer suit à partir de tous les méandres. Le terrain devient accidenté. Des collines, s'étendant jusqu'aux bord du fleuve, s'élèvent devant nous. A mi-chemin entre Montauban et Lexos nous voyons, sur le haut de la berge, un vieux château médiéval, Bruniquel, partielle-

PC

ment restauré au XIX'' siècle. Dans le petit bourg, situé en dessous et qui est de nos jours d'une certaine importance par ses forges et ses fonderies, il y a en- core des maisons du XIIe siècle. Tout nous fait sen- tir que nous approchons d'un pays ancien. Plus nous avançons, plus la val- lée devient étroite et sau- vage; de grandes falaises, escarpées et rudes, riches T ,.. , , en «rottes et en précipices,

Le château de Bruniquel. ^ r r

enserrent la rivière de l'Aveyron. A 40 km. de Montauban, h l'endroit le plus pittoresque de la vallée, nous découvrons, sur le haut d'un rocher à pic, les ruines d'un vieux château-fort. C'est Penne, le siège des seigneurs de Penne, dont il sera plus d'une fois question dans ce qui suit. De la puissante forteresse des temps passés, il ne reste au- jourd'hui que des ruines, mais leur position hardie, les masses imposantes dès vieilles murailles conservent en- core un aspect de puissance majestueuse. Il est évident que Penne était autrefois la clef de la vallée1, qui s'élargit à partir de ce point.

Après avoir passé par Cazals, nous voyons, à 53 km. de Montauban, s'étendre, autour de l'Aveyron et au pied du roc d'Anglars, la petite ville de Saint- Antonin. Avec son bel hôtel de ville de style roman et gothique et

1 On suppose que la création du château-fort de Penne est due aux comtes de Toulouse ou aux vicomtes d'Albi qui auraient voulu profiter de la remarquable situation de ce roc pour en faire une place de guerre, qu'on confia à des gardiens féodaux; cf. Saint- Yves, Promenade archéologique dans la vallée inférieure de ÎAveyron (Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, XXVIII,

P- h 9-)

dont la construction daterait du XIIe siècle, avec ses vieilles ruelles d'une fantaisie agréable, ses tanneries témoignant de son industrie d'autrefois et nombre de vieilles maisons, la ville, maintenant petit coin calme et paisible, est certainement la place la plus pittoresque du département.

Anciennement, la ville s'appelait Noble- Val. D'après une tradition, reconnue maintenant sans fondement, elle doit son nom actuel à saint Antonin de Pamiers, qui aurait évangélisé le Rouergue, et qui aurait été décapité dans sa ville natale. Voici le récit du sort étrange de

Ruines de Penne.

ce saint1: «Quand les habitants de Pamiers eurent tranché la tête, et du même coup détaché un bras, au martyr Antonin, ces citoyens parricides, soit pour étouffer la

1 J'emprunte cette citation à Latouche, Saint Antonin. Mont- auban, 1913. C'est une traduction des Leçons de l'office de In fête de saint Antonin et de la translation de ses reliques, due à l'abbé J. Bez (Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et-Garonne, XXVIII, p. 150— 151 .

ÎO

gloire du serviteur de Dieu, soit pour abolir le souvenir de leurs crimes, jetèrent clans l'Ariège les membres sacres de ce vénérable corps. Dès que les saintes reliques du martyr furent jetées dans le fleuve, une barque gouvernée par des aigles recueillit ce précieux fardeau et le transporta a Noble-Val, ville qui, ayant changé de nom, s'appelle aujourd'hui Saint-Antonin.»

Saint Antonin. Vue générale.

L'image du saint, qui dans le bateau s'approche de S. -A., décore le tympan de l'église moderne de la ville, et elle était si populaire quelle figurait sur le revers du sceau de la communauté dont la couverture de ce livre montre la face.

Un des plus glorieux personnages de la petite ville dont on vient de voir le site est Raimon-Jordan, appartenant à la dynastie des vicomtes de Saint-An- tonin, qui, sous la souveraineté des comtes de Tou- louse, régnèrent aux XIe et XIIe siècles sur la ville et

sur ses environs immédiats. Dans les documents, on rencontre leur nom pour la première fois le 25 juillet 1083, Izarn, vicomte de Saint- Antonin, et Frotard, son frère, figurent parmi les signataires d'un acte par lequel les chanoines de l'église Saint-Sernin de Toulouse furent rétablis dans leurs droits1. Mais ce fut un règne bien éphémère, qui ne dura pas même un siècle et demi. Leur pouvoir s'éteignit au milieu des grandes tourmentes par lesquelles le Midi était troublé au commencement du XIIIe siècle. Comme tant d'autres seigneurs, les vicomtes embrassèrent l'hérésie albigeoise, et le 6 mai 12 12, la ville fut prise par Simon de Montfort, qui la céda au roi de France. Les vicomtes restèrent encore quelque temps, mais leur titre n'était plus qu'honorifique. Par un acte solennel établi en 12272, le roi Louis IX accorda sa protection à la ville et la prit sous sa souve- raineté, et en 1247, le dernier des vicomtes, qui s'appelait également Izarn, fit abandon complet de ses droits sur la ville à saint Louis3. Désormais S. -A. est donc une cité qui se trouve sous la domination directe de la royauté.

Examinons mainte- nant de plus près la gé- néalogie des vicomtes de Saint-Antonin. D'après

Rue de L'Hôtel de Ville.

1 Cf. Histoire générale de Languedoc, III, p. 253.

2 Archives de Saint-Antonin, A A. 1:6.

3 Ib., A A 1 : 9.

une savante étude1 de L.» Guirondet sur cette dynastie, notre premier Izarn, qui dans la succession porte le 2, aurait eu plusieurs fils*. L'aine, du nom d' Izarn comme

son père, joua un rôle dans les luttes qui, pendant les années 1 140 45, se pro- duisirent entre les prin- cipaux seigneurs de la pro- vince de Languedoc. Les autres fils étaient Sicard, nommé avec Izarn, son frère, dans une donation faite en 1 1 34, Guillaume- Jordan et Pierre. Sicard a mourir le premier. Du moins il n'est pas men- tionné dans les coutumes données à la ville de S. -A. en 11403, pas plus que dans l'acte de partage de la vicomte établi en ii554i date jusqu'à laquelle Izarn, Guillaume-Jordan et Pierre en jouirent par indivis. Guil- laume-Jordan vit toujours en 11575; le cadet, Pierre, est mentionné encore en 1174 dans la notice d'un accord établi entre lui et une dame, Amance, fille de Roger, au sujet d'une table du marché de S. -A.6

1 Dans le Bulletin de la Société archéologique de Tarn-et- Garonne, II, 1872. - //>., II, p. 199.

3 Latouche, Saint-Antonin, p. 29, donne la traduction d'une partie de la coutume.

4 Archives de Saint-Antonin, A A. 1: 1.

5 Moulenq, Documents historiques du Tarn-et-Garonne,\>'p.yj%.

6 Archives de Saint Antonin A A 1 ; publie par l'r. C.alabert et Cl. Lassalle, Allnuii paléographique, fasc. 1, pi. 3.

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Saint-Antonin. La Mairie.

J3

Pour des raisons qu'il ne nous expose pas, Guirondet voit dans Raimon-Jordan le fils de Guillaume-Jordan, attribution certainement exacte et qui est appuyée d'abord par le nom de notre troubadour. Selon la cou- tume du temps, Guillaume-Jordan, ayant été baptisé dans les eaux du fleuve sacré, a vouloir perpétuer dans son fils le souvenir de la participation des vicomtes à la guerre sainte.1 Mais il y a mieux. Raimon-Jordan est attesté en 1 1 78, date de la ratification, en présence de Frotard, vicomte de S. -A., de Sicard, son frère, et de Raimon-Jordan, son cousin, d'une donation faite, quel- ques années auparavant, par Adhémar, vicomte de Bruniquel, aux frères de Beaulieu.2

La certitude que nous apporte ce document quant à l'identité de Raimon-Jor- dan, nous permet de rec- tifier une donnée admise dans X Histoire de Langue- doc et qui a joué un certain rôle dans les recherches antérieures, selon lesquelles l'activité poétique du trou- badour aurait tombé tout à la fin du XIIe sièle. Rai- mon-Jordan y3 est énuméré Saint- Antonin. Les Tanneries.

1 Cf. l'article de l'abbé F. Galabert sur les vicomtes de S.-A. dans Bulletin, XXVIII, p. 43.

2 Ces deux actes sont transcrits dans une sentence arbitrale, rendue en avril 1467 entre les consuls de Nègreplisse et Jean de Carmaing, seigneur de ce lieu, dont le double est aux archives du dép1 de Tarn-et-Garonne (Titres de Nègreplisse); cf. Moulenq, Documents historiques du Turn-ct-Gcuvnne, I, p. 351.

3 VI, p. 556.

'4

parmi les troubadours protégés par Raymond VI, comte de Toulouse (i 194 1222), donnée certainement exacte en ce qui concerne ses relations avec les comtes de Toulouse, les seigneurs les plus puissants du Midi à cette époque. Selon toute probabilité, cependant, les savants auteurs de {'Histoire se sont trompés en mettant Raimon-Jordan en rapport avec Raymond VI. Dans une des chansons du troubadour, celle à laquelle j'ai donné le VII et qui doit se référer «à sa première activité poétique, Raimon-Jordan emploie pour son protecteur l'ex- pression «lo pro marques», qui ne peut se rapporter qu'au comte de Toulouse étant en même temps marquis de Provence. Or, Raymond VI n'avait pas ce titre qui revenait à ces prédécesseurs Raymon V (1148 94) et Alphonse Jordan (1109 48). Tout porte donc à croire que du moins au commencement c'est Raymon V connu pour avoir favorisé plus que nul autre les trou- badours, qui fut le protecteur de Raimon-Jordan; ce n'est en effet qu'en plaçant notre poète sous son règne, qui fut la période la plus brillante de la poésie provençale, qu'il est possible d'accorder les deux faits rapprochés ici.1 Izarn III eut pour fils Izarn IV, Frotard, Sicard et Forton. Sous le titre de vicomte, le premier est attesté déjà en 1163/ Frotard et Sicard sont mentionnés en- semble dans un acte de 1 1823; Sicard seul figure dans un

1 Dans le Çartulaire de Sylvanès Aveyron), p. 435, un Rai- mundus Jordanus figure, en 1192, comme témoin d'une donation de droits sur des biens situés dans la paroisse de Sarrus par Pierre de Caylus et sa femme. Dans un autre document, établi en il 54, ib. p. 286, Guillermus Jordani est un des signataires. Comme cependant les chartes de Sylvanès ne font jamais allusion à Saint- Antonin ni à Penne, il est probable que ces personnages ne sont pas les nôtres. Cf. Çartulaire de l 'abbaye de Sylvanès. p. p. P.-A. Verlaguet Archives historiques du Rouergue, 1. Rodez 1910.

Moulenq, ouvr. cité, p. 417.

3 Çartulaire des Templiers de Vaour, p. 45.

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autre acte établi en 11841; le cadet, Forton, est décédé, selon toute apparence, sans lignée, avant le mois de février 1 197, date de la vente qu'Izarn fit du grand pré aux habitants, de S. -A.2 C'est la dernière nouvelle que nous ayons d'Izarn, qui a mourir bientôt après.

Son frère Frotard lui succéda et continua ainsi la dynastie. Il avait épousé Bertrande de Caussade, et en 1198 les époux vendirent à Ratier de Caussade tous les droits qu'ils avaient sur le château de Caussade et sur la ville de Saint-Cire.3

Frotard décéda vers l'an 12 12 et laissa de son mariage avec Bertrande trois fils, Izarn V, le même qui céda en 1247 au roi saint Louis la vicomte de S. -A., Pons et Bernard-Hugues, le dernier de la dynastie. Selon ces données, il faudrait se représenter ainsi la généalogie des vicomtes de S. -A.:

Izarn I

Izarn II < en vie en 108s > Frotard

Izarn III Sicard Guillaume-Jordan Pierre

f vers 1140 en vie en 11 57

Izarn IV Frotard Sicard Forton Raimon-Jordan

j- vers 1198 7 vers 1212 7 avant 1 197

Izarn V Pons Bernard-Hugues en vie 1247 en vie 1250

Raimon-Jordan, étant cousin d'Izarn IV, de Frotard, de Sicard et de Forton et ayant atteint l'âge majeur en 1178, est donc éminemment du XIIe siècle. Certaine- ment on ne se trompe guère en plaçant sa naissance vers 1 1 50 ou peu après.

1 //>., p. 72.

2 Voir l'article précité de Guirondet, Bulletin, II, p. 202.

3 Archives de Saint-Antonin, AA. 1: 5.

i6

2. LA VIE DE RAIMON-JORDAN

Si nous pouvons donc assez bien donner à Raimon- Jordan sa place dans la dynastie des vicomtes de S. -A. nous ne savons de sa vie que ce que nous pouvons extraire de sa biographie provençale, qui a certainement eu d'autres sources que les seules poésies du troubadour. Je la reproduis ici1:

Lo vescoms de Saint-Antonin si fo de l'evescat de Caortz, senher de Saint-Antonin e vescoms.' Et amava una gentil domna, qu'era molher del senhor de Pena d'Albiges, d'un rie castel e fort. La domna si era gentils e bella e valens, e moût prezada e moût honrada, et el moût valens et en- senhatz, e lares e cortes, e bons d'armas e bels et avinens, e bons trobaire.2 Et avia nom Raimon Jordan; la domna era apellada la vescomtessa de Pena. L'amors d'els dos3 si fo ses tota mesura, tan se volgren de ben Pus a l'autre.4 Et avenc si que'l vescoms s'en anet una vetz en garnimen

i. A seigner e vescoms d'un rie bore de Rozerge que a nom S.-A. 2. IK omettent e lares e cortes et e bels. 3. A d'am- dos IK de lor dos. 4. A tant amet l'uns l'autre.

1 Cette biographie se trouve dans les mss. ABIK, d'après les- quels j'ai établi un texte critique qui est presque identique à celui publié par Chabaneau dans Hist. de Languedoc, X, p. 249 et suiv.

En dehors de cette biographie il y a aussi une autre, plus courte, dans le ms. R. Comme celle-ci contient quelques détails d'intérêt, je l'imprime ici d'après Chabaneau:

«Raymons Jordans fo vescoms de San Antoni, senher d'un rie bore, qu'es en Caersi; e fon avinens e lares e bos d'armas, e saup trobar e ben entendre. Et amet la molher d'en R. Amielh de Pena d'Albeges, qu'era honratz bars; e la dona era bêla e joves & ensenhada, e volia mays de be al vescomte que a res del mon, & el ad ela. Et avenc se que'l vescoms fon en guerra ab sos enemix e fon nafratz en una batalha, e fon portatz a -San Antoni per mort. E la novela venc a la dona aytals que mortz era, don ela ac tal dolor que s'en rendet als Tatarie s. Lo ves- coms .guéri de sa nafra e can saup que la dona s Via iciuluda, ac tal dolor que pueys no fet? vers ni canso.

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en un a encontrada dels seus enemics5, e si fo una grans batalha, e'1 vescoms si fo nafratz a mort.6 E fo dich per sos enemics qu'el era mortz; e la novella venc a la domna qu'el era mortz7; et ela de la gran dolor que n'ac8 si s'en anet ades9 e si's rendet en l'orden dels eretges. E si com Dieus vole, lo vescoms melhuret e gari de la nafra10; e negus no'il vole dire qu'ela'is fos renduda. E quan fo ben garitz, el s'en venc a Saint-Antonin, e fon li dich com la domna s'era renduda per la tristessa qu'il ac de lui.11 Dont12 el perdet solatz e ris et alegressa'3, e cobret planhs e plors et esmais14, e no cavalguet ni anet ni venc entre la bona gen.15 Et enaissi estet plus d'un an; don totas las bonas gens d'aquellas encontradas n'avian gran marrimen.'6 Don madomna Elis de Monfort, molher d'en Guilhem de Gordon, filha del vescomte de Torena, on era jovens e beutatz e cortezia e valors'7, li mandet pregan ab moût avinens precs18 qu'el, per la soa araor, se degues alegrar e laissar la dolor e la tristessa, dizen19 ela qu'ela li fazia don de son cors e de s'amor per esmenda del mal qu'el avia près, e pregan lo e claman li merce qu'el la denhes anar vezer, e se no, qu'ela venres a lui per vezer lo.20 Quan lo vescoms auzi aquels honratz plazers que la valens21 domna li mandava, si'l comenset una grans dousors d'amor venir al cor, e22 se comenset alegrar et esjauzir23 e venir entre las bonas

5. IK cum garnimen AB omettent en una encontrada dels seus enemics. 6. A don el i fo IK per mort 7. A omet qu'el era mortz; toute la phrase manque dans I 8. IK et ella de la tristesa e de la dolor gran que ac de la novella 9. A omet les mots si . . . ades 10. A lo v. gari B lo v. garic d. 1. n. e meilloret 11. A per tristessa de lui IK qu'ela ac quant auzi dire q'el era mort - - 12. IK ajoutent ici quant el auzi so 13. IK e ris e chan e 14. A omet et esmais IK e plors e sospirs et esmais e dolors 15. A e non anet ni venc d'entre B ni non c. ni non a. d'entre bona 16. IK d'un an en gran marrimen - - 17. />' omet e valors - - 18. AB pregan moût avi- nenmens 19. B omet les mots e laissar . . . dizen A tristessa e"l marrimen e recobres comfort et alegressa e joi e baudor, dizens IK tristessa qu'el fassia, disen 20. AB emploient la oratio recta; dans les deux mss., le passage est plus ou moins corrompu IK <\e son cor e de son cors e de s'a. 21. B la dompna IK la gentils valenz domna 22. B et adoncs IK si qu'el 23. A esbaudir 2 22148.

i8

nuis (.• \rstir se t.- nos companhos*8; et apparelhet se ben et honradamen, et anet s'en a madomna Elis de Monfort; et ela lo reeeup al) gran plazer et ab gran honor (pie li fetz.- El el ton gais et alegres de l'onor e dels plazers qu'ela'il fetz e'il dis27, et ela moût alegra de la bontat e de la valor" qu'il trobet en lui, e non fo pas pentida dels plazers ni de las amors qu'ela li avia mandadas. E la saup ben grazir30 e3' preguet la qu'ela'il fezes tan d'amor per qu'el saubes32 que per bon cor e per bona voluntat33 li avia mandatz los plazers plazens, dizen que'l portava en barman de son cor escritz.34 Et ela3S o fetz ben, qu'ela lo près per son cavalier, e reeeup son homenatge, et ela se det a lui per domna36, abrassan e baizan, e'il det l'anel de son det per fermansa e per segurtat. Et enaissi se parti lo vescoms de la domna molt alegres e molt gais37 e cobret trobar e chantar e solatz38; e fetz adoncs de lei aquella chanson (pue ditz39: Vas vos soplei en eut ai mes m'entensa. Et enans qu'el fezes la chanson, una noit quant dormia4", li fo avis41 que Amors l'asalhis d'una cobla, que ditz: Rai- tnon Jordan, de vos eis volh apendre.1

24. IK si qu'el comensa a far alegressa et a esjauzir se e comensa a venir en plasa e recobrar solatz entre la bona yen

25. IK ajoutent iei e cobrar se en arnes et en armas et en solatz 26. A reeeup alegramen 27. IK qu'ella li disia ni'l faisia 28. IK ajoutent iei e del sen e del saber e de la corte- sia 29. B e non fo pas enpentida 30. A omet tes mots e non fo ...grazir 31. IK e merceiar e gen preiar qu'ella li fezes 32. IK crezes t,3- AB omettent e per bona voluntat

34. A en l'arma de son cor e. B en son cor totz jorns e. IK en lor mari de son cor e. 35. B E la dompna 36. A et ella reeeup lui B omet per domna $j. A gais e joios et alegres B gais e joios 38. B tornet en chantar et en alegressa A tornet en trobar et en chantar et en alegressa ; puis A ajoute e tenc cortz e cavalget e trepet e venc et anet e briget ab los valens homes et ab las bonas gens e retornet en trobar et en chantar et en far bons vers e bonas chanssons atressi ben cum el solia far denan 39. A et adoncs el comensset far per madompna Elis una cansson qe ditz

40. A en dormens 41. A li fon veiaire en vesion B li fon veiaire.

1 Tous les mss. donnent te premier eouplet du poème. Pour les variantes se rapporter au VIII. I K ajoutent Maintas bonas cansons fetz de las cals son asi escriptas altras si corn vos auziretz.

*9

Cherchons maintenant à dégager ce qu'il y a de vrai et de faux dans cette biographie, et voyons les conclusions qu'on peut en tirer. Je fais d'abord observer que les places qui y sont mentionnées, se trouvent dans la proximité immédiate de S. -A. Les personnes dont il est question, ont vécu, ou si leur existence n'est pas directement prouvée par des documents, d'autres avec qui elles auraient été en rapport, sont d'une authenticité incontestable. Pour cette raison déjà, il est vraisemblable que la vida donne, dans ses lignes générales, une partie, et la partie qui nous intéresse tout particulièrement, de la vie de notre troubadour.

Elle rapporte l'amour que Raimon Jordan aurait eu pour deux dames, la vescomtessa de Pena et Elis de Montfort, deux données dont la deuxième est con- firmée par le poète lui-même; s'il faut à mon avis accepter, du moins provisoirement, aussi la première, c'est qu'en soi naturelle elle nous apporte, comme le fera ressortir l'exposé suivant, une solution naturelle de certains pro- blèmes que pose notre étude. Selon la biographie, dans la rédaction de R, la vescomtessa était la femme de R. Ameil de Pena. Nous possédons une série de docu- ments très précieux pour l'histoire locale de la vallée de l'Aveyron, le Cartulaire des Templiers de Vaour1, et dans ces documents le nom de R. ou de Raimon Ameil revient à plusieurs reprises à l'époque dont il s'agit ici. D'après ces données, il paraît probable qu'il y a eu, vers la fin du XIIe siècle, plusieurs seigneurs de ce nom. Nous le rencontrons pour la première fois

1 Archives historiques de l'Albigeois, fasc. i, p. p. Ch. Portai & Edm. Cabié. Dans ces documents figurent partout les sei- gneurs de Saint-Antonin, de Penne, de Cazals, de Bruniquel et d'autres localités de la vallée de l'Aveyron. Il en ressort avec évidence que ces seigneurs ont entretenu des rapports continuels.

clans un acte incomplet de 1173 781, et il revient par la suite dans toute une série de documents des années 1 179 1192.2 Deux personnages du nom de R. Ameil, pne et fils, figurent encore dans un document de 1196, R. Ameil3 père se donne à la maison de Vaour avec tous ses biens situés dans le territoire dépendant de Penne. Et enfin, un de ces R. Ameil figure comme témoin de l'acte précité, par lequel Frotard, vicomte de S. -A., et sa femme Bertrande vendent, en février 1 198, à Ratier de Caussade, tous les droits qu'ils avaient sur le château de Caussade.4 Or, lequel de ces deux ou trois - R.-A. est le nôtre? Des données certaines nous manquent absolument. Leurs femmes respectives ne figurent jamais dans les documents et ne permettent donc aucune conclusion quant à l'identité des maris. Selon Chabaneau5, c'est la femme du R.-A. de 1198 qui était aimée de Raimon-Jordan. Mais comme celui-ci ou un autre du même nom est attesté vingt ans plus tôt, nous sommes libres de fixer, dans cet espace de temps, la première aventure amoureuse du troubadour. Si, en 1 1 78, celui-ci était assez âgé pour assister à la ratification d'une donation, on ne peut guère placer son premier amour en 11 90 1200, comme le veut Chaba- neau.6 Il me semble plus probable qu'il s'agit d'un amour de jeunesse, inspirant les premières poésies du troubadour, et qu'il faut plutôt faire remonter les débuts de l'activité poétique de Raimon-Jordan vers 1180. Il

' Ib., p. 24, no XXXV.

r Ib., pp. 26, 31, 39, 63, 67, 71, 75, 8i, 85 et 89, les n°s XXXVIII, XLY, LV, LXXVI, LXXXI, LXXXV, XC V VI. C et CIV.

3 Ib., p. 97, CIX.

4 Cf. ci-dessus, p. 15.

5 Hist. de Languedoc, X, p. 249.

6 Cette assertion du grand provençaliste est munie d'un point d'interrogation, cf. Hist. tic Languedoc, X, p. 378.

est contemporain de Bertran de Born, qui était à cette même époque un poète célèbre1, et la date indiquée cadre bien mieux avec ce qui est rapporté plus tard sur sa vie, que celle supposée par Chabaneau, qui ne connaissait d'ailleurs que le R. Ameil de 1198. Il ne peut d'ailleurs en être autrement si on ajoute foi aux données de la vida. Comme il est certifié par les docu- ments, des relations suivies, favorisées par la situation géographique de S. -A. et de Penne, existaient à cette époque entre les seigneurs de ces lieux; il faut donc que Raimon-Jordan ait vu la vescomtessa étant encore jeune, et il ne l'était plus dans la dernière dizaine du siècle.

A la fausse nouvelle de la mort de Raimon-Jordan dans un combat, la vescomtessa se rendit en l'orden dels eretges 2 pour ne plus paraître dans le monde, détail impossible à vérifier mais qui paraît un peu suspect.3 D'une manière ou de l'autre, il y a eu cepen- dant une rupture, et c'est cette fin malheureuse de la liaison du troubadour avec sa dame qui a inspiré le deuxième couplet de la satire célèbre du moine de Montaudon. Celui-ci reproche à Raimon Jordan d'avoir échoué dans ses premières amours, voilà peut-être la vérité4 en ajoutant que depuis il pleurait nuit et jour sa perte. Ce poème étant antérieur à 11945, il est évident que c'est avant cette époque qu'il faut placer les événements auxquels se rapporte la vida.

1 Cf. plus bas.

2 Par les 'eretges» l'auteur de la vida entend les cathares. Leur existence dans l'Albigeois étant attestée déjà en 1140, ma supposition ne se heurte pas aux données de la biographie.

3 Cf. Bergert, Die von den Trobadors genannten oder ge- feierten Damen, p. 36.

4 Cf. plus bas, p. 31.

5 Cf. Klein, Dichtungen des Mônchs von Montaudon (Ausg. u. Abh., Vil , p. 22 et Stronski, Folquct de Marseille, p. 51*.

2 2

I »u a donné à la vescomtessa de Pena le nom d'Adélaïde, je ne sais pas bien pour quelle raison.1 Son prénom n'étant jamais mentionné dans les pièces authentiques, on ferait mieux de la laisser rester dans son anonymat.

L'autre dame est Elis de Montfort, fille de Raimon II2, comte de Turenne, qui se croisa en 1190 et mourut en Terre Sainte. Elle devint dame de Montfort par son mariage avec Bernard de Cazenac (Sarlat, dép. Dordogne), seigneur de ce lieu. La vida lui donne pour mari Guilhem de Gordon, ce qui a fait supposer que celui-ci était son premier mari et qu'elle aurait épousé en se- condes noces le dit Bernard. Comme l'a démontré M. Stronski3, ce premier mariage n'a jamais existé; l'in- formation de la vida est, sur ce point, absolument fausse.

Née vers 1 165 au plus tôt, Elis était sœur de Contors, femme de Helias de Comborn, substituée par M. Stronski à l'imaginaire Maeut de Montagnac dont parlent les biographies de Bertran de Born, et de la célèbre Maria de Ventador, la dame de Gaucelm Faidit, attestée encore en 1221.4 Les trois sœurs étaient en effet les dames provençales les plus connues de leur temps. Elles sont désignées par Bertran de Born sous la dénomination de < las très de Torena»5, à laquelle répond celle de «las très melhors qui se trouve chez

1 Ainsi Rossignol, Monographies communales du dép. du Tarn, III, p. 255, et après lui Guirondet, Bulletin, VII, 151.

2 Ainsi déjà Robert Meyer, Gaucelm Faidit, p. 24, et Ber- gert, p. 14. Chabaneau et d'autres lui donnent pour père Boson 11 mort déjà en 1 1 43. C'est seulement par les recherches de M. Stronski, cf. plus bas. que la question a été complètement élu- cidée.

3 La légende amoureuse de Bertran de Born, p. 39 et suiv.

4 //'., p. 20 et suiv., ainsi que p. 44.

5 Dans la pièce: Chazutz sut de mal en pena, Thomas, ouvr. cité, p. 125.

23

Raimon-Jordan, X, v. 28. Elis est encore mentionnée par Bertran de Born dans une de ses poésies amou- reuses1; le moine de Montaudon parle aussi d'elle en la signalant comme une dame qui, à l'opposition de ses semblables, n'employait pas le fard. Gaucelm Faidit enfin, fait mention d'elle dans l'envoi d'une de ses chansons.2

La vida dit expressément qu'après la séparation d'avec la vescomtessa, Raimon-Jordan était plus d'un an sans «solatz e ris e chan , et que c'est après cette année de deuil qu'Elis de Montfort lui offre son coeur. Cela peut très bien être exact. Voici comment je me figure l'enchaînement des faits et des événements, hy- pothèse n'ayant aucune preuve matérielle à son appui mais qui ne contredit, du moins, aucune des données connues. C'est en 1 182/3 que furent célébrées par Bertran de Born «las très de Torena»; rien ne s'oppose donc à la supposition d'un amour entre Elis et Raimon-Jordan vers cette même époque, à laquelle vivait aussi Gaucelm Faidit, qui, ayant adressé ses hommages à la sœur d'Elis a être déjà ou devenir sous peu son ami.3 Evidem- ment, Raimon-Jordan est désormais en relations avec les cours et les troubadours du Limousin et du Périgord, et il me semble en effet très probable qu'il a pris part

1 Dans l'édition de M. Thomas, le 3, p. ni. Ce poème, qui est adressé à la princesse Mathilde d'Angleterre, fille d'Henri IL est composé avant 1 190, cf. Stronski, Lég. de Bertran de Born,

P- 97-

- Une dame du nom d'Helis figure encore dans une chanson imprimée par M. Appel parmi les pièces non authentiques de Peire Rogier et sur l'attribution de laquelle on n'est pas d'accord. On a émis la conjecture qu'il s'agirait d'Elis de Montfort, hypothèse qui ne se laisse ni prouver ni réfuter; cf. Appel, Peire Rogier, p. 89 et s., ainsi que Bergert, p. 15.

3 Sur le senhal fameux, Mon-Desir, sous lequel se seraient désignés les deux poètes, voir plus bas, pp. 30 et 133.

-4

au soulèvement du jeune roi» contre son père Henri II Plantagenet. Une des biographies de Bertran de Boni munière «lo vescoms de Ventadorn, lo vescoms de Torena, lo vescoms de Comborn et lo senhor de Mont- fort1^ parmi les barons qui prirent le parti du jeune roi. Saint-Antonin n'étant pas très loin, Raimon-Jordan a très bien pu se joindre à eux. Je suppose donc que c'est pendant cette guerre, qui finit en 1183 par la mort subite du jeune roi», qu'il a reçu la blessure l'ay- ant fait rapporter comme mort à sa dame:2 II me semble aussi probable que c'est pendant la guerre, qui avait précisément pour théâtre le pays étaient situés les châteaux de Ventador, de Turenne et de Montfort, qu'il a vu Elis3, et que c'est après son rétablissement que celle-ci, en souvenir d'une rencontre antérieure, l'a appelé chez elle. Cette nouvelle liaison rendit le courage au troubadour, qui «cobret trobar e cantar e solatz . A mon avis, cette deuxième activité poétique de Raimon Jordan doit être placée à partir de 1183 85. De sa durée, nous ne savons rien, pas plus que de la dernière partie de la vie du troubadour. Selon Nostredame, il

1 Chabaneau, Hist. de Languedoc, X, p. 228.

2 On a interprété différemment le passage de la vida racon- tant que'l vescoms anet en garnimen en una encontrada dels seus enemics»; on a même voulu y voir l'indication que Raimon Jordan s'est croisé et que c'est pendant la guerre sainte qu'il a été grièvement blessé, ainsi Trutat dans Bulletin, IX, p. 30. Selon cette manière de voir, le troubadour aurait pris part à la croisade malheureuse de Philippe-Auguste et de Richard-Cœur- de-Lion. Cependant, cela ne cadre pas bien avec les termes de la vida, et l'auteur de la biographie, qui était le contemporain de Raimon-Jordan, n'aurait pas manqué de le dire. Nostredame le mêle aux différends des comtes de Toulouse et des seigneurs de Provence, ce qui n'est certainement pas plus digne de foi que les autres données du récit de cet auteur.

3 Supposition appuyée par les termes que le poète emploie en parlant du début de son amour pour elle, cf. plus lus. p, 39-

mourut en 1206.1 Bien qu'on ait voulu placer sa mort à une date plus récente2, il n'y a pas de raisons sé- rieuses pour ne pas ajouter foi à l'assertion de l'auteur des Vies des poètes provençaux, qui, sur ce point, s'ac- corde avec d'autres données historiques.

Elis de Montfort paraît avoir survécu à son che- valier. Elle vivait encore en 12 14 d'après le récit d'un épisode qui aurait eu lieu pendant la guerre contre les Albigeois et dont l'authenticité est attestée par un do- cument de cette même année. A cette époque, Elis doit être déjà une vieille femme, loin de l'âge de l'amour. Du moins l'action infâme dont elle et son mari se rendirent coupable à cette occasion3 témoigne d'une cruauté si monstrueuse qu'il serait difficile de l'attribuer à quelqu'une ayant été, peu d'années aupara- vant, une des reines du monde du «gai saber».

Le récit de la vie de Raimon-Jordan que nous a laissé Jehan de Nostredame est sans valeur pour la biographie du troubadour. Comme à l'ordinaire, c'est une tissu de mensonges on reconnaît des éléments de la vida provençale mêlés à tort et à travers et transformés par l'imagination de l'auteur. D'après

1 Ouvr. cité, p. 34.

- Gaujal, Etudes historiques sur le Rouergue, III, p. 454 et suiv. fait vivre le troubadour de 1190 à 1240. Cette opinion est combattue par Guirondet, Bulletin, VII, p. 151.

3 On prétend qu'ils avaient fait prendre, par pure méchan- ceté, plus de cinquante personnes, tant hommes que femmes, qui s'étaient réfugiées dans l'abbaye de Sarlat, et qu'ils avaient fait couper les pieds ou les mains aux uns et arracher les yeux aux autres, cf. H/s/, de Languedoc , VI, p. 44g. - - Bernard de Caze- nac est mentionné encore dans un document de l'année suivante, dans lequel est mis sur son compte un autre méfait, ib., p. 466.

Nostredame, Raimon-Jordan se retira en Provence

il entra an service de Remond Berenguier, fils de Ildefons, second dn nom, roy d'Arragon, comte de Pro- vence»; il fut amoureux d'une noble dame de Provence, Mabille de Ries, en l'honneur de laquelle il érigea, dans le monastère de Montmajour, une colossale statue de marbre. C'est le procédé ordinaire de Nostredame. A priori il n'est pas probable qu'un troubadour dont les proches parents régnèrent en Rouergue et qui, in- contestablement, fréquentait les cours du Périgord, vînt s'établir en Provence. Et des données de cette «bio- graphie», quelques-unes sont contradictoires, d'autres imaginaires. Remond-Berenguier ne peut être que le comte de ce nom qui, en 1198, régna de 1209 à 1245, ce qui ne cadre guère avec l'année de la mort de Raimon-Jordan que Nostredame place, comme je l'ai indiqué ci-dessus, en 1206. Le père de Raymond-Bé- renger, cinquième du nom, était Alphonse II (III) (1196 1209), qui passe aussi sous le nom de Ildefonse II; il ne fut jamais roi d'Aragon; à la mort du père, le vrai Alphonse II d'Aragon, c'est le fils aîné, Pierre, qui reçoit l' Aragon. Dans Mabille on a voulu voir l'anagramme de Albigcs1, qui, dans la vida, accompagne la mention de la vescomtessa de Pena. Le récit de la statue colossale est évidemment une pure invention de l'auteur.

3. LES POÉSIES DE RAIMON JORDAN

Raimon Jordan est cité par Barberino2 comme au- teur de nouvelles, toutes perdues; de l'une de celles-ci,

1 Cf. Anglade, Nostredame, p. 307, qui renvoie à Bartsch, Die Quellen von Jehan de Nostradamus (Jahrbuch, Xlll , p. 30.

2 Thomas, Francesco do Barberino et la littérature />ro/>en cale en Italie, p. 116 et suiv.

d'un caractère sensuel et grossier, le commentaire des Documenti cFamore nous a cependant conservé une tra- duction. Le chevalier troubadour ne nous a laissé que des poésies, dont 1 1 chansons, un sirventés et une ten- son.1 Dans quelques cas, les mss., et surtout le ms. M, indiquent un autre auteur, mais la plupart des mss., et des mss. appartenant à des familles différentes, étant d'accord pour les attribuer à Raimon-Jordan, aucune des pièces que Bartsch2 a réunies sous son nom, ne semble d'une authenticité douteuse.

Les poésies de Raimon-Jordan ne contiennent que très peu d'allusions; les deux qui permettent des con- clusions sur la vie de l'auteur sont déjà signalées. Des données sûres faisant absolument défaut, l'ordre dans lequel sont composées ses poésies, est impossible à établir avec certitude. Dans l'arrangement que j'ai entrepris, je pars d'un raisonnement qui se fonde uni- quement sur le contenu de ces poèmes et qui est en effet très subjectif. Evidemment il faut donner une place à part au sirventés (Bartsch 404,5); il renferme une critique sévère des «anciens troubadours» l'auteur accuse tout particulièrement Marcabrun qui s'étaient

1 Le nom de Raimon-Jordan figure aussi en rapport avec quelques autres pièces. Ainsi le ms. P, évidemment par confusion avec II, lui attribue un poème du moine de Montaudon Aissi coin cet qu'a estât ses seignor 'Bartsch 305, 1), admis par Klein sous le XI, dans son édition des poésies de ce poète, ouvr. cité., p. 59. Dans le ms. f, il en est de même du poème Ara sabrai s'a ges de cortezia (Bartsch 240, 4) attribué par 13 mss. à (iiiiraudo lo Ros; mentionnons enfin que dans S un certain Rai- mon-Jordan de Cofenolt = R. J. de Coffolens, Charente) est indi- qué comme l'auteur d'une chanson d'Ademar lo Nègre Ara m don Deus que repaire. Bartsch 3, 1, cf. p. [86). Dans l'un et dans l'autre cas, l'attribution de ces pièces est absolument assurée par la concordance d'un grand nombre de mss. Il n'ya donc aucune raison de les croire de la main de notre troubadour.

2 Grtindriss , sous le 404.

3 8

permis de médire de l'amour et des dames. Si j'ai donne à cette pièce la première place, ce n'est pas parce que je la crois composée avant les autres, mais simplement pour des raisons pratiques. Dans celles-ci, l'amour fait toujours le sujet de la chanson, et selon que l'auteur se dit heureux ou malheureux, elles se laissent diviser en deux groupes, répondant à une dis- position d'esprit toute différente. Celles de la deuxième catégorie parlent d'une dame noble et belle mais dure et inaccessible que le poète chante partout (II, vv. 29, 36), mais à laquelle il n'ose pas «mostrar ni far parer» ce qu'il a sur le cœur (il, vv. 21 22). N'osant lui- même découvrir ses sentiments, il supplie l'Amour d'essayer de la fléchir (III, vv. 23 26). Enfin il se décide cependant à parler lui-même et il lui adresse une première prière d'amour «Vas vos soplei, domna, premeiramen» (IV, v. 1) pour se dire aussitôt qu'elle doit le tenir pour fou (IV, v. 24). Malgré tout le poète espère encore c'est le seul moyen de gagner le bonheur (IV, v. 28) et soumis à sa vo- lonté, il acceptera avec gratitude tout ce qui viendra d'elle, bien ou mal (IV, vv. 29 30). Le succès n'a pas être grand, car l'accent du poète devient bien- tôt plus douloureux et annonce la rupture définitive. Il passe par toutes les phases du désespoir, il demande pourquoi elle le tourmente (V, vv. 3 4), quel est son intérêt de le faire mourir (V, vv. 19—20); il menace de cesser de la chanter (V, vv. 9 10); c'est seulement l'idée qu'une fois elle pourrait être amenée à l'aimer qui l'empêche de donner suite à cette menace (V, vi). Son existence est envenimée par les «enveios» qui se moquent de lui (VI, vv. 48 49). Plusieurs fois Raimon- Jordan revient sur le chagrin que lui, qui aime plus qu'aucun autre (VI, vv. 15 16), éprouve à vivre loin de sa dame (VI, v. 29 & VII, l). Et enfin, en corn

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parant sa situation à celle de saint Nicolas de Bari, qu'estet lonc temps mest los peissos en mar et qui y accepta la mort (VII, II), il assure qu'il va mourir de désespoir; il se sent comme le marin qui, ne voyant aucun moyen de se sauver, remet son âme entre les mains de Dieu (VII, IV). Son seul chagrin c'est qu'en mourant il ne puisse plus voir son protecteur et ami, «lo pro marques (VII, v. 43). x

Une chanson charmante J zas vos soplei en cui ai j)ies mentensa (IX) pleine d'hésitation et de sentiments contraires, annonce un revirement. Elle est adressée à une dame dont le poète est anxieux de garder l'anonymat (IX, vv. 55 56); il nous confie qu'elle l'intimide encore (IX, v. 18), et il va jusqu'à reprocher à l'Amour de l'avoir frappé toute en épargnant la dame (IX, vv. 37 40). Cependant elle a su lui révéler gentiment ses propres sentiments (IX, v. 11). Faut-il voir une allusion à ce qui est rapporté dans la vida, selon laquelle Raimon-Jordan aurait composé cette chanson après avoir été reçu par Elis? Et, en effet, bientôt la situation change, le poète entonne un autre air. S'il a refusé jusque-là d'écouter la voix de son cœur, sa résistance est désormais brisée (X, vv. 2 4); un nouvel amour, s'adressant à celle qui «de las très melhors est la plus digne, s'épanouit dans son cœur, et il nous fait savoir qu'il s'éprit d'elle quand il lui arriva une fois de passer par son pays (X, vv. 7 8).2 Cependant il hésite toujours; le souvenir de son vieux chagrin est encore vivant dans son coeur (X, v.

1 Le comte de Toulouse qui était en même temps marquis de Provence, cf. ci-dessus, p. 14.

2 Contrairement à M. Bergert, ouvr. cité, p. 37, je regarde leis du vers 7 comme la bonne leçon, cf. plus bas, p. 132. Cela est d'accord avec ma conception de la liaison du troubadour avec Elis de Montfort, cf. p. 24.

19), et il n'est pas encore sûr qu'elle lui retourne son amour. La dame est hautaine et par trop belle pour qu'il s'approche d'elle «ses bon guit» (X, v. 38), et après avoir demande à un sien ami qu'il appelle «Mon- l'rsir»1, de lui donner la mort «si merces no la vens» (X, vv. 5— 6), le poète soumet, plein d'inquiétude, à sa critique la chanson qu'il consacre à celle (X, vv. 48 49) qui est pour lui son Bon-Esper» (X, v. 29). Elle a l'encourager; bientôt il nous apprend qu'il est si heureux qu'il chante même quand «la neus chai et gi- bron li verjan (XI, v. 1). Définitivement, il dit adieu à la fausse qui l'a trompé, et il se décide à donner son cœur à l'autre qu'il trouve «plus valen , et à la servir désormais fidèlement (XI, vv. 31 33). La dame de- vient son «Bon-Cor» (XII, v. 39), et en son honneur il compose une chanson pleine d'allégresse (XII), L'amour prend tellement possession du coeur de notre poète qu'il lui paraît que les feuilles et les fleurs s'épanouissent en automne (XIII, 1), et il assure que rien, pas même les prières de ses parents et de ses amis, ne le fera rompre avec elle (XIII, vv. 33 36). Son ami pour la vie (XIII, vv. 19 20), il ne pensera jamais à une autre (XIII, vv. 38 39), et en des termes d'une certaine originalité il va jusqu'à solliciter d'elle la suprême fa- veur (XIII, vv. 49 54). Dans l'envoi du poème le poète nous fait deviner qu'il sera bientôt au comble de ses désirs et auquel je donne la dernière place, il adresse à Dieu la prière de lui donner de leis poder» (XIII, vv. 55-56).

1 Gaucelm Faidit ayant employé le même <senhal» en parlant de Raimon-Jordan 167,51 et 106,1, cf. Stronski, Folquet de Mar- seille, p. 37*}, on a émis la conjecture que «Mon-Desir» se réfère, chez celui-ci, à Gaucelm Faidit, que Mon-Desir» serait donc un nom que ces deux poètes se seraient donné mutuellement; cf. pourtant plus bas, p. 133.

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Il ressort de cette caractéristique des sentiments qui font le thème des chansons de Raimon-Jordan qu'elles doivent s'adresser à deux dames qui reçoivent différemment l'hommage du poète. Celle qui lui re- tourne son amour étant et les termes du poète lui-même ne nous laissent pas en doute Elis de Montfort, l'autre serait donc la vescomtessa de Pena. Il n'est que très naturel que le troubadour ait hésité à solliciter l'amour de celle qui était la femme de son ami à lui et de l'ami de ses proches parents. Mais si tout porte à croire que l'auteur de la biographie provençale a raison en indiquant la vescomtessa comme l'objet de l'amour de Raimon-Jordan, il s'ensuit du contenu des chansons qu'il lui a consacrées que, dans ses détails, le récit de la vida n'est qu'un mythe, impression que nous avait déjà laissée la vida elle-même. Elle n'a pas voulu accepter son hommage, et le moine de Montaudon peut nous révéler la vérité en disant que Raimon-Jordan ne jouit jamais de son amour».

Je place donc les pièces que je regarde comme étant adressées à la vescomtessa de Pena en tête des autres, et pour les deux séries, j'ai essayé de trouver un arrangement grâce auquel les chansons, d'après les sentiments qu'elles expriment, se suivent d'une manière naturelle. Entre les deux groupes, je place la tenson contenant une dispute entre l'auteur et l'Amour, qui lui demande pourquoi il ne chante plus comme auparavant; le poète répond que c'est parce qu'il a été trompé dans un amour antérieur, et quand l'Amour l'exhorte à atten- dre patiemment que la destinée se tourne, il n'y croit pas. Cette pièce doit donc, comme le veut aussi la vida, se rapporter à la période de la vie du troubadour qui précède sa liaison avec Elis de Montfort et où, plongé en douleur, il «perdet solatz e ris e chan».

Un deuxième personnage masculin figure dans un certain nombre des poésies de Raimon Jordan, ainsi dans III, IV, V, VI, XI, XII. C'est un certain Garni, à qui le poète s'adresse dans les envois en le priant d'apprendre et de chanter ses chansons. Ce personnage doit être un «joglar», ami et compagnon de l'auteur. Certainement il est chimérique de chercher à l'identifier, comme l'a voulu M. Schultz-Gora1, avec l'un ou l'autre des troubadours.

* ::: *

J'étudierai de plus près la versification des diffé- rentes poésies de Raimon-Jordan dans les notes qui suivront les textes, et je me contenterai ici de quelques observations d'ordre général. Dans la composition des strophes notre poète fait preuve d'une certaine origina- lité. Le schéma métrique de ses chansons est souvent créé par lui-même, ou il varie un schéma employé aussi par d'autres, en donnant à ses vers une mesure qui jointe à ces suites de rimes ne se retrouve pas ailleurs. Il n'y a qu'aux pièces II et VII qu'il se serve d'un schéma commun. Dans quelques cas I, III, X, XI

la composition strophique de Raimon-Jordan reste unique; dans d'autres, il a trouvé des imitateurs, parmi lesquels on compte des poètes de renom, comme Peire Cardenal et le trouvère Thibaut de Champagne.

Raimon-Jordan aime le vers de dix syllabes qu'il a employé dans neuf de ses treize chansons et qui se trouve encore dans deux autres entremêlé avec d'autres vers. On peut constater également un certain penchant au vers de sept et à celui de cinq syllabes qui alternent toujours dans la même pièce.

Les rimes masculines sont dans la majorité. En général, les poèmes sont composés de coblas unissonans;

1 Z. f. r. /'//., X, p. 594 Fausse citation par Bergert, p. j6

quelquefois cependant, ainsi dans III, XII et XIII, il y a plusieurs séries de rimes dont chacune est conservée par deux couplets.

Dans le vers décasyllabique, la césure ordinaire coupe après la quatrième syllabe étant accentuée est de beaucoup la plus fréquente; la césure lyrique se rencontre cependant parfois, ainsi p. ex. I 12, 31, 38; II 37, 39, 42; IV 12, 33, 39, 53, 54; V 4, 9, 34, 41, 46; VI 29, 57, etc. Exceptionnellement, le vers est coupé en deux hémistiches, comptant chacun cinq syllabes; je note I 9, 10; II 31; IV 31; V 6, 7; quel- quefois aussi le vers est coupé après la sixième syllabe, ainsi II 4; IV 49; VII 7, 21, 22; X 28; XI 18.

Il nous reste la musique des deux pièces Vas vos soplei, do mua. premciramai (ms. IV, fol. 194 a, b) et Lo clar temps vei èrunezir (ms. IV, fol. 192 c, d). Faute de connaissances musicales, je joins simplement les deux folios en fac-similé à mon édition.

La valeur poétique des poésies de Raimon-Jordan est, sinon considérable, du moins assez grande pour qu'il soit sauvé de l'oubli. M. Anglade1 le caractérise comme un poète délicat dont la finesse et la recherche rappellent par endroits la manière de Rigaut de Barbe- zieux, avec quelques traits de sensualisme en plus." C'est une nature simple et sans détours, il lui manque des idées originales et des images hardies. Mais il sait tirer de sa lyre des accords sincères et mélodieux. Ses chansons sont encore agréables à lire, et il défend bien sa place dans la galerie des poètes provençaux. Que le lecteur juge d'ailleurs lui-même!

1 Histoire som»iaire de la littérature méridionale, p. 66.

2 Impression renforcée par la novela dont parle Barberino, cf. plus haut, p. 26.

3 22.^8.

34

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4. ÉTUDE DU DIALECTE PARLÉ DANS LA VALLÉE DE L'AVEYRON AU X 1 1 » SIÈCLE.

Il m'a paru d'un certain intérêt de joindre à cette édition des poésies de Raimon-Jordan une étude sur la langue parlée dans son pays à l'époque il vivait. Elle se base sur un certain nombre de documents du XII' siècle, tous datés. En premier lieu je me suis servi des documents de S. -A. même, conservés dans les archives de cette ville et dans celles de Montauban. En tant qu'ils ne sont pas publiés1, je les ai copiés moi-même pendant mon séjour à S. -A. Bien que je ne les aie pas eues sous les yeux, on trouvera également, dans la série des documents cités, les Coutumes'2 de la ville établies en 1 140 par les vicomtes. Je les cite d'après Constans qui s'en est servi pour son étude du dialecte rouergat.3 La langue ayant été anciennement uniforme, à ce qu'il paraît, dans toute cette partie de la vallée de l'Aveyron, j'ai cru pouvoir m'en rapporter aussi aux documents faisant partie du Cartulaire des Templiers de Vaour, dont il a été plus d'une fois

1 Le document G. 965 1103: conservé aux archives dépar- tementales de Tarn-et-Garonne (Montauban ainsi que II. 1 (1165, AA. 1 1 1 74 et II. 1 (1178), appartenant aux archives communales de Saint-Antonin, sont publiés, en fac-similé et en transcription, par Fr. Galabert & Cl. Lassalle dans Album paléographique et diplomatique, fasc. 1.

2 Le texte des coutumes a été publié, d'une manière qui ne paraît pas tout à fait satisfaisante, par le baron de Gaujal dans ses Etudes historiques sur le Rouergue, I, p. 275 et suiv. M. K. Latouche, archiviste de Tarn-et-Garonne, en prépare une nouvelle édition faite d'après l'original de la coutume retrouve par lui dans une liasse des archives départementales de Montauban,

' Essai sur r histoire </u sous-dialecte du Rouergue. Mont pellier & Paris. [880.

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question dans ce qui précède.1 Il est, pour le dépar- tement du Tarn, le plus ancien cartulaire original et le seul antérieur à la croisade des Albigeois.

Le cartulaire, dont les dates extrêmes sont 1 143 et 1202, est fait à S. -A. même, par un chanoine de cette ville, en 1202.2 Trois scribes, qui se distinguent par quelques légères différences graphiques, trop insi- gnifiantes pourtant pour dénaturer l'uniformité de l'état linguistique du cartulaire, ont concouru à la transcrip- tion des documents. Le premier a écrit jusqu'à la pièce 25; l'œuvre du second comprend les pièces 26 à 87; celle du troisième forme la fin du cartulaire. Ces scribes ainsi que ceux qui avaient originairement rédigé les documents, dont la langue correspond à tous les points de vue à celle des documents de S. -A., étant, selon toute vraisemblance, du pays, tous ces textes m'ont semblé former ensemble une base solide pour une étude du dialecte parlé dans le pays natal de notre troubadour.

L'éditeur du cartulaire a ajouté en appendice quel- ques documents faisant partie de la collection Doat de la Bibliothèque nationale. Bien qu'ils concernent direc- tement Saint-Antonin et Penne, je ne me sers de ces documents, dont la langue s'écarte à plusieurs égards de celles des autres, que il n'y a aucun doute sur la nature autochtone des formes citées. Il ne s'agit d'ailleurs que des deux premiers documents rédigés en 1176 et en 1 192 ; ils sont désignés App. I, 2.

Les documents de S. -A. sont cités sous le sigle qu'ils portent dans l'Inventaire des archives de la ville avec l'addition de l'année de la rédaction. Pour les chartes de Vaour, je n'indique que le numéro qu'ils

1 Cf. ci-dessus, pp. 19 et suiv. - Cf. l'Introd., p. II et suiv.

portent dans L'édition, donc Y. i, 2, 3, etc. Voici sommairement leur repartition chronologique:

Les nos 1 7 se rapportent aux années 1143 1160

» 91— 52 1 173— 11 80

53~ 99 » » » 1 1 8 1 1190

» » 100—115 >; * * * 1190 1202.

A. - PHONÉTIQUE.

Voyelles toniques. Sous l'accent, toutes les voyelles se conservent telles quelles dans tous les do- cuments"; les exemples sont si nombreux qu'il est inu- tile d'en citer. Signalons seulement que la notation ou pour o fermé n'est pas encore en usage, ainsi amor A A. 1 (1185), habitadors V. 1, Vaor V. 53, doas V. 107, olm (<C ulmu) V. 47, etc.

En ce qui concerne les détails, le traitement des voyelles accentuées donne lieu à quelques remarques:

1. Le suffixe -arius est représenté au masc. par -er. au fém. par -cira: primer V. I, sonder (< semi- tariu) V. I, veguer (< vicariu) V. 1, parcerer V. 60, diner V. 107, sester V. 107, carreira II. I (1167), bar- reiras V. 1 , Corbcira V. 1 , paiseira V. 21, maneira V. 66, ère te ira V. 104.3

1 Le 8 est en latin.

" Dans un des documents les plus récents V. 114 1201 , j'ai noté la forme curieuse aveim, témoignant d'une diphtongaison de ç. Le passage de e à ci se rencontre dans la partie septentrionale du domaine occitanien, en particulier en limousin et en poitevin; comme cependant cette évolution paraît postérieure à notre charte, cf. A. Porschke, Laut- und Formenlehre des Cartulaire lie Limo- ges, p. 35, et qu'en dehors de cet aveim isolé, celle-ci porte plu- sieurs fois avait, tenon, je préfère voir dans aveim une faute du scribe.

i Dans le parler actuel de Saint Ajitonîn, il y a. d'après X Atlas linguistique, le point 72>2> représente notre dialecte, la

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La diphtongaison en -ier, ieira1 n'a donc pas en- core eu lieu dans notre dialecte.

2. Le résultat régulier de ë suivi de yod ou d'un groupe palatal est e, p. ex.: meilz AA. i (1185) et passim, mels V. 28, meig V. 64, veilz V. 1, veilla V. 25, 107, Amcil(z) passim, Aniel V. 45, queiro (< ^quœriunt)2 AA. 1 (1198).

Il en est de même de ë en hiatus: ^a (ego) V. 42, Deu V. 42, Andreus V. 66, /éw V. 68, seu V. 99, etc.

Ces exemples font conclure que ë ne s'est pas en- core diphtongue dans cette région. D'autre part, une telle conclusion est contredite par miels V. 36, Amiels V. 35, Amiel V. 36 et Andrieu V. 53. En présence de ces formes, dont les trois premières, se trouvant dans deux pièces consécutives, pourraient cependant être des graphies pour meils, AmeilfsJ3, je suis porté à supposer que, dans les deux positions signalées ici, la diphton- gaison de $ est en train de s'accomplir pendant la période qu'embrassent nos documents.

3. 0 ouvert, dans les mêmes conditions, ne montre aucune trace d'une diphtongaison: poig V. 48, Poig V. 68, Belpoig V. 60, poja (< podiat) V. 48, 60, posco V. 20, 53, posca V. 87.

Signalons en outre que les mots locum, focum présentent toujours les formes loe AA. I (1198), V. 3, focs V. 70.

même distinction entre le masc. et le fém., témoin les formes firùmie, escarye, pane à côte de entycyro (= entière), rebyeyro. Il en est d'ailleurs de même aux points environnants.

1 Cf. Staaff, Le suffixe -a ri us, p. 115.

2 Cf. Appel, Lautlehre, p. 36.

3 C'est à mon avis d'une manière analogue qu'il faut inter- préter (per degu) gicn, qui se trouve AA. 1 (1198^; la forme ordinaire est gein.

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4. Devant un groupe renfermant une nasale nous trouvons i pour e dans eninz Y . 48, adeninz V. 61, dmtz V. 61, etc.1

VOYELLES ATONES. 5. C'est un fait connu que, sous l'influence de plusieurs consonnes, une certaine hésitation se manifeste en provençal quant à la graphie de la voyelle non accentuée.2 Nos documents offrent quelques exemples de cette particularité, ainsi: perochia V. 15, 92 à coté de parroquia V. 69, parrochia V. jô, ligir Y. 20 à coté de legir V. 56, ^//;/rr (< denariu) V. 107, guirpit V. 92, gurpit Y. 91 à côté de guerfri Y. 104.

C'est à cette même tendance qu'il faut attribuer la formation savante me lia A A. 1 (1198) pour milia?

6. Sous l'influence d'un son palatal suivant4, a passe quelquefois à ;/. Cette particularité se présente aussi dans la syllabe accentuée: cunnat (< cognât u) II. 1 (1165); Pnig V. 68, Puigsegoz V. 104, Pug V. 1, pug V. 101.

7. La posttonique est conservée dans la forme fréquente femena II. 1 (1178), AA. 1 (1185), Y. 91, etc., à côté de foinias AA. 1 (1198). Evidemment, il faut voir dans femena une formation savante due au langage judiciaire.

8. Nos documents présentent les exemples ordi- naires de la chute de la voyelle ou de la syllabe initiale;

1 Sur ces mots, cf. Millardet, Rev. d. I. rom., 1914. p. iîv) et suiv., ainsi que Appel, Lœutlehre, p. 34.

2 Cf. là-dessus Appel, Lautlehre, \ 37.

: //'.. p. 42. Melia se trouve encore Crois, alb., 2S1, Daurel et Beto, 76, 194.

4 Cf. Appel, Lautlehre, p. 41.

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je note gleisa, gleia, gleiastgue V. 78, bisbe (< epi- scopu) V. 103, botz, bot (< nepotem) V. 100, boda V. 101, tro V. 40. r

9.. Notons enfin un certain nombre de mots d'une allure savante le groupe final -tu aboutit à -i: gladi Coût., testimonis (nom.) AA. 1 (1 174), Bonifacis AA. I (1174), servizi II. 1 (1 178), servezi AA. 1 (1198), testi- moni II. 1 (1165), GG. 30, matrimoni AA. 1 (1198), c van g élis V. 114.

Consonnes. 10. D intervocalique passe ré-

gulièrement à s douce; ce son est ordinairement noté par z, plus rarement par s, graphies constamment con- fondues dans nos textes.2 Voici un choix d'exemples:

a) lauzec V. 16, lauzatz V. 59, l au zéro V. 70, lauza- mentz V. 53, vezenza V. 62, auzenza V. 53, auzirau V. 56, gazainnarau V. 59, deveziment AA. 1 ( 1 1 74, 1 198), Lozoico V. 1.

b) lauseron V. 20, devesiment II. 1 (1198), asenant V. 10.

D'autre part, -d- subsiste quelquefois, ainsi audent G. 965 (1103), laudec II. 1 (1 167), AA. 1 (1174), lauda- dor A A. 1 ( 1 174), audirau V. 112. Le même phéno- mène se rencontre dans les premiers textes littéraires, et dans ces cas, c'est, à l'avis de M. Appel3, la nota- tion d'un d déjà affecté mais n'ayant pas encore pris le son sifflant. Les coutumes offrent les formes curieuses fadia, fadiani, tradia -d- aurait été substitué à -z-\ si ces formes sont correctes4, il faudrait voir des graphies inverses. D est enfin tombé dans Beneeig (< Benedictus) V. 66.

1 Cf. Appel, Lautlehre, p. 43.

2 Cf. plus bas, s, p. 43.

3 Lautlehre, pp. 28 & 62.

4 Des formes analogues se trouvent aussi dans d'autres textes rouergats de la même époque, cf. Constans, p. 208.

4-'

il. L'absence de c prosthétique devant s suivie de consonne est un trait caractéristique des textes albi- geois1, ce qui explique la chute de la consonne initiale de spiecka, Spleita (< explicita), forme commune dans nos textes, p. ex. Y. 14, 54, 55, 62, 73, etc.

12. En position finale, -s s'écrit -z après un grand nombre de consonnes, notamment /, ;/, g: alz V. 73, delz Y. 1, e%lz Y '. 73, aquellz V. 73, solz G. 965 (1103), Ponz V. 1, Isarnz V. 62, MurzengzV. 104, fagz ~V. 10,

faigz V. 73, sobredigz V. 73, A A. 1 (1198), boczV. 24. tempz Y '. 104, Adetnarz V. 103.

Dans ces cas, -j se rencontre pourtant quelquefois, ainsi p. ex. wrA' Y. 28, wr/Ty V. 38, aquels Y. 101, gui r 01 s II. 1 (1165, 1178), 7^;w V. 11 I, Isa ni s A A. 1 (1185).

La notation ordinaire pour -/.y est -fe; à côté de cette graphie, qui est extrêmement fréquente, nous trou- vons d'une part -ts, d'autre part -z\ par contre, je n'ai noté aucun cas d'affaiblissement en s simple:

a) Bernarts, guirents II. 1 (1167);

b) toz V. 24, parz V. 104.

Il y a aussi des graphies inverses, comme p. ex. mentz (< minus) Y. 58.

Signalons aussi que le groupe final -es est quelque- fois noté -x: (per) prex (acunbas parz) V. 104; cet x peut être suivi lui-même de la consonne de flexion: prexz Y. 108.

13. Dans le groupe s + consonne, s a une ten- dance à passer à / ', ce qui explique la forme almobte

1 Cf. Jeanroy, Purgatoire tic saint Patrice, pp. XXXV & LVIII.

Aujourd'hui, cet amuïssement de jr est constant dans les dialectes limousins, cf. Anglade, Gramm., p. 159.

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(<C *alimosinam) qui revient plusieurs fois dans nos documents, p. ex. AA. I (1198), V. 59.

14. 5 suivie d'un yod en hiatus, donnant régulière: ment -iz- f-zs-J, est souvent réduite à 2, trait caractéris- tique surtout du rouergat, mais qui a été signalé aussi dans le Lot, le Tarn, le Tarn-et-Garonne et la Haute- Garonne1; cf. gleia V. 29, App. I à côté de gleisa V. 18, gleisas App. 1, maio (< mansionem) passim, à côté de maiso V. 102, guia Coût., V. 97 à côté de guiza V. 87 et guisa V. 55, 89. z

15. Comme il ressort de ce qui a été déjà dit, s et z s'emploient constamment l'une pour l'autre. En général, il règne, dans nos documents, une grande con- fusion dans la notation des différentes espèces de s, cf. à côté de raso V. 40, razo V. 53, les doublets suivants les mêmes graphies dénotent une s sourde: tersa Y. 31, tersa V. 49, forza V. 68, fors ar AA. 1 (1198), ainsi que auzada, aucesso (< al tiare) V. 71. Tout porte donc à croire que nos documents ne distinguent pas s et ss (c). Notons à cet égard aussi le témoignage du pronom démonstratif neutre, présentant à côté de la forme ordinaire aizo, les formes aisso, ai^o, aiso, auxquelles il faut ajouter encore atzo3 V. 32. On peut même constater que des formes différentes sont employées dans les mêmes documents ou par les mêmes scribes, cf. les pièces V. 110, 11 1 et 112. Des formes telles que eissez (= eisses) V. 40 ainsi que antorissi V. 37, autorisa V. 29 pour autorici complètent le tableau de la confusion.

1 Cf. Jeanroy, Purgatoire de saint Patrice, p. LIV.

' Notons, dans X Atlas ling., pour le point J2>3 gteyyo, server ro (— cerise), pour 731 & 741 gtcyyo, sireyo.

3 A mon avis, cette forme doit son initiale à l'analogie de aquel, açuest, aquo.

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[6. La vallée de l'Aveyron appartient au territoire, comprenant surtout les dialectes de l'extrême Midi, c initial reste intact1: cap rai. capsus V. 48, escazia V. 25, escaira V. 50, jrancament Y. 53, carta V. 56, catribo

V. 61, menât AA. 1 (1174), camal, castel AA. 1 (1 198).

17. Le groupe -</- aboutit d'une manière assez régulière à -g, -ig au masc, à -*•//-, -/<//- au fém.:

a) masc: fag V. 22, 27, dreg V. 1, condreg V. 101, </;-/> AA. 1 (1198), plagV. 104, redugV. 87, 104; sobredig AA. 1 (1198), //^. plaigz A A. 1 (1174), </ra^- AA. 1 (1185), condreig V. 106, befaig V. 76, retraigz V. 53-

b) fém.: sobredicka AA. 1 (1 174), fâcha AA. 1 (1 198), malafacha V. 76, sp/ccha V. 33, gâchas (-< wahta) V. 103, condrechas V. 93, pleichas V. 24.

La distinction graphique entre le masc. et le fém. n'est pas rigoureusement maintenue, f/- s'étant quelque- fois introduit aussi au masc: sobredich GG 30 (1176), V. 18; cf. la forme analogique sobrescrich V. 1. Dans App. 1, 2, ces formes sont fréquentes.

Exceptionnellement nous trouvons pour le son final la notation -ih2, ainsi /tf//^ V. 1 12.

A côté de la réduction ordinaire et > £", r//, nous rencontrons aussi, bien que plus rarement, le passage et > zt, réduit quelquefois à -t3. Voici un choix d'ex-

1 Pour le parler d'aujourd'hui, cf., dans {'Atlas linguistique, les cartes 226, 232, 233, 235, 239, 812, etc. Le point 733, ainsi que les points environnants, offre partout le son dur.

2 Cf. toh, p. 46. Sur toutes ces formes voir Appel, Bernait de Ventadorn, p. CXXXIV, Chabaneau, Gramm. Uni, p. 65.

3 La même hésitation se manifeste encore de nos jours, bien que les formes en -ch, prononcé ts, semblent dans la majorité. Notre dialecte se trouve en effet sut la frontière du domaine de ■ch, comprenant le limousin et une partie de l'auvergnat, dans la proximité immédiate d'un territoire la vocalisation de c est la règle générale. Il suffit de consulter l'Atlas /i>i^., qui nous offre

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emples: fait, nclcit (<C neglectum) Coût., fait II. i (1165), dreit II. 1 (1165), IL 1 (1178), dretV. 1, redutz V. 59; farta, dreitureiras Coût., faita V. 61, 69, mala- faita V. 54, 100, splcita V. 73, spleitas V. 100, dreitura Y. 50, 100.

Quelquefois les formes en -zï et celles en -ch se font concurrence dans le même document, cf. la pièce V. ?ï, donnant splecha, malafacha et malafaita.

18. Du traitement du groupe et il faut rapprocher un autre fait qui est caractéristique de nos documents. Un J final semble influencer le / de la même manière que e1; la consonne est sujette à une palatalisation, amenant exactement les mêmes formes que celles résul- tant de et. Il est significatif que c'est seulement au nom. plur. que les mots en question, dont il faut sur- tout observer les participes en -atu, présentent cette forme; il ne s'agit donc pas d'un fait analogique. Je cite: pregag V. 104, pregaig (< precati) G. 965, AA. 1 ( 1 198) à côté de pregat Y. 65, 71 et passim, donag (<donati) Y. 104, pagai/r (< pacati) Y. 112, tug

les formes suivantes: pour 733, fat .< factum, bweyt (< octo . keyts (< coctum, mais drets, dretso < directum -a, lots < 1 a c t e m , nets < n o c t e m , têts < 1 e c t u m), frutso < f r u c t u m . destretso d e s t r i c t u m , latsugo < 1 a c t u c a , frets < f r i g i d u . pour 741 fat, dret, keyt, weyt,fret mais dretso, lats, rets, têts, frutso, estretso, latsugo, pour 731 fayt, weyt, koyt, mais drets, dretso, lats, rets, têts, frutso, estretso, latsugo, frets, pour 743 bweyt, keyts, mais d/rts, dretso, lats, frutso; factum y est fa {< faits) .

1 Cette altération de la dentale se produit aujourd'hui en Auvergne, dans quelques patois du Dauphiné, de Savoie et dans quelques rares parlers vendéens, cf. Y Atlas ling., les points 467, 447, 458, 448, 427. L n certain nombre de patois auvergnats palatalisent également toutes les autres consonnes devant i. Le phénomène est traité dans sa généralité par Ringenson, Etude sur la -palatalisation de k, p. 94 et suiv.

2 Des formes semblables, également du Quercy, ont été signalées par P. Meyer, Romania, XIV, p. 292.

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Y. 103, toig Y. 29,' 103, tock V. 1, 2, 3, tok V. 35 à côté de ///// V. 107 et passim.

11 convient de noter qu'avec / suivi de /, le résultat est quelquefois le même, témoin les formes: aqueig et avec métaphonie ( l Tmlaut) aquig V. 81 (< eccu(?) + ïllï).1

19. Le suffixe -aticu donne -aiguë, plus rarement •atge. La première de ces deux graphies semble dénoter un g dur.2 Même en cas d'un d primitif, le résultat est toujours dans nos textes le son sourd3: salvatgue Coût., linnatgues V. i, linatges V. 96, usatgucsN . 104, usatges V. 108; glciastgite Y '. 78; jutgues V. 104, jutges V. 106, jutguero V. 71.

20. A et // alternent dans la graphie, cf. aquels V. 101, aquelas V. 71, aquell V. 68, aquclh V. 100, aquellas AA. 1 (1 1 74) et passim4, éVrr {—e'iz). V. 73, r/Zc V. 82, Brunequel V. 42, Brunequell App. 1, afe/s V. 100, dcllz V. 54, «/s V. 68, allz V. 49, caïuiler V. 103, cavalier V. 3, castel, castcll V. 103, etc.

21. Z mouillée s'écrit régulièrement -//. -ill et se réduit souvent dans la graphie à / et //:

-//: cosscil AA. 1 (1198), cosseilz V. 100, wcilz passim,

meils V. 38, r/7 (< ïllï) V. 100; -/'//: moiller AA. 1 (1198), i>crmeillas GG. 30 (1176),

w///rt V. 25, bailles App. 1, Ameillz V. 73, meillz

V- 25;

1 Cf. aqueg Jàlses notari, p. 5, v. 107, Deux mss. firoi>., éd. Noulet & Chabaneau.

2 Cf. Constans, Dialecte du Rouergue, p. 211.

! Sur la répartition géographique des sourdes et des sonores dans les dialectes modernes, cf. Appel, Lautlehre, p. 50. Pour le parler de Saint-Antonin, ['Atlas ling. donne furmatse (= from- age), buyatso (= voyage), sarbatsos (= sauvage), aise (= âge), donc partout le son sourd.

* Pour ce pronom, les formes avec // sont dans la majorité.

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-/; cossel II. i (1165), molcr V. 24, Autel V. 10, me/s

V. 18, 38; -//: moller V. 73, filla V. 39,/// AA. 1 (1198).

Une seule fois, j'ai noté la graphie Ih: molher V. 53.

Les graphies /. // dénotent-elles une réduction de / en /? Dans le rouergat moderne, 17 mouillée finale s'assèche en /, et la même évolution a été constatée par M. Jeanroy2 pour l'albigeois du XVe siècle. A mon avis, l'état linguistique de nos documents, il règne une grande confusion dans la notation des sons mouillés3, ne nous autorise pas à faire remonter ce phénomène au XIIe siècle. Dans ce cas, on s'attendrait à trouver des graphies inverses, qui font pourtant défaut dans nos textes en dehors de formes purement analogiques telles que aqueil App. 1.

22. R fait preuve de son instabilité ordinaire. Ainsi, r pour n se trouve dans parcerer V. 60, canorgue AA. 1 (1 185), App. 2, / pour r dans albre V. 105, albres V. iii, albergas V. 103. Il y a aussi des exemples de la transposition de r, ainsi: grepiro GG. 30 (1176), soberdicJia App. 1. Une r explétive s'est introduite dans seguentre (< sequente) V. 102. Devant une con- sonne, r est enfin tombée dans Bernatz V. 76, Bernât V. 55, etc.

23. X est également d'une très grande instabilité dans nos documents. A la finale des mots ou devant

1 Cf. Constans, Dialecte du Rouergue, p. 57. Selon X Atlas ling., il y a, dans le point 723' hésitation entre -/ et /,• V Atlas nous donne fil, el < oclu; à côté de byel (< *veclu). Notons cependant dans les points 731 et 724 byel.

* Purgatoire de Saint Patrice, p. XXXVI.

3 Ce qui ressortira avec encore plus d'évidence de l'examen de \'n mouillée.

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s de flexion elle tombe constamment et disparaît aussi souvent à l'intérieur des mots devant les consonnes c, g, J. r. s, s. Ex.:

a) so (< sunt) AA. i (1174), SO (< suum) AA. 1 (1198), (ab) bo (cor) V. 60, wa V. 55, moli Y. 21, aperte Y 2i, oiâSti AA. 1 (1174), « V. 58, <&gK AA. 1 (1198), sobha V. 66, &w AA. 1 (1174), capellas V. 13, mmum V. 103;

b) rctec AA. 1 (1174, 1 198), tec V. 112, reteguda V. 33, /V;tc> V. 29, effants II. 1 (1167), */»»/ AA. 1 (1198), effantz Y. 73, r/^;// Y. 10$, efangV. 103, awj*/ II. 1 (1165) et passim, é« (< censu) V. 13, 105, cessais AA. 1 (1174), ^vcjt V. 104, Puigscgoz Y. 104, coveneza V. 61.

Une 7/ explétive s'ajoute quelquefois, ainsi p. ex. dans (la) vian (va civet a la crotz) V. I.

24. Devant une labiale, -;/ passe fréquemment a -m : cm poder Y. 9, em pens V. 10, cm pengs V. 23, cm bosc V. 101, cm pretz V. 112, rt'-w Frotart AA. 1 (1198).

25. iV mouillée s'écrit très différemment; il est cependant à noter que la notation ;/// fait absolument défaut à nos documents; voici un tableau montrant les graphies sous lesquelles apparaît ce son:

-ign-: seignorias V. 59;

-in-: estrains A A. 1 (1198), estrain V. 104, sainte V.

41, Salvamac V. 55, aperteinz V. 103; -///-: dcstvenier A A. 1 (1198); -/>/;/-: Salvainnac V. 55, gazaîmtarau Y '. 59, /<v>///<? V.

70, empeinnada V. 73; -///;'--.• peingz Y. 63; -//£--.• yV;/£\s- V. 23; ■ngn-: pengns Y. 23;

-wi-

49

senoria Y. 9, senors V. 14, j^;//5 Y. 104, sont

Coût., sauta V. 43, z/ztfdtf V. 43;

vinnas Coût., sennoria II. 1 (1178), sennoriu AA. 1

(ii74).

En présence de cette confusion des graphies, on ne s'étonne pas de trouver des graphies inverses. C'est ainsi qu'il faut expliquer à mon avis guireng V. 45, aperteneinz V. 25, grainja V. 40.

Particularités GRAPHIQUES. 26. Les con- sonnes initiales sont fréquemment redoublées après un mot atone terminé par une voyelle1: a ffar V. 48, a s s eh in or Y. 104, e ffova V. 21, e ssei effant V. 45, e ssa V. 112, de rre V. 112.

La finale des monosyllabes est également redoublée dans soss V. 31, sorr V. 76.

27. H se trouve non seulement à l'intérieur des mots pour empêcher la synérèse, comme dans VaJwr V. 14, Benehet V '. 110, mais aussi à l'initiale: Juivia AA. 1 (1185).

B. MORPHOLOGIE

Substantif et adjectif. 28. La déclinaison se trouve encore dans un état de parfaite régularité. C'est à peine si on peut constater quelques inadvertances des scribes. Ainsi j'ai noté, au cas sujet, la forme procurador V. 29 ainsi que les constructions fautives aquest do sobrescriut fo faig V. 9, 21 et, d'ailleurs, passim, et entre eis lo vins sobrescriut V. 93, tuit aquest sobrescriutz V. 103.

' Cf. Jeanroy. Purgatoire de saint Patrice, p. XXXVII. 4 22148.

.•'). Les substantifs terminés en -s font leur pluriel en intercalant un g devant Y s de flexion: mases V. 81, 91, corses Y. 108, caisses V. 104.

30. Du féminin analogique en -a que prennent plus tard les adjectifs dérivés de la troisième déclinaison latine, je n'ai noté que l'exemple agradabla V. 108 ( 1 195), appartenant donc à un des documents les plus récents. Comme féminins des adjectifs et des pronoms en -alem, on n'a, par contre, que des formes en -al: ab sas seingnorias leials V. 84, ab aital retenguda Y. 88.

Pronom DÉMONSTRATIF. 31. Nos documents préfèrent, excepté au neutre, les formes avec eccu (ou atque), donc aquest-aquesta,aquel-aquela. Ce n'est qu'une seule fois que j'ai noté une forme avec ecce, aicella V. 108. A côté des composés, on trouve quelquefois iste : esta V. 108.

Au neutre, la forme dominante est aizo qui se trouve dans la plupart des documents. Vu la confusion qui règne dans la notation de .y intervocalique, il fau- drait regarder comme des doublets graphiques aiso AA. 1 (1 198), V. 112, aiço A A. 1 (1 174), aisso V. 1 10, App. 1. La forme aquo correspondant à aquest. aquel n'est pour- tant pas inconnue à nos documents. Sous la graphie aquo ou aco, elle revient avec une grande constance dans la locution [toi) aquo que, ainsi p. ex. V. 15, 26, 55, 80, 83, 86, 101, 105, 106, 108, etc. Dans l'emploi non- déterminatif, la forme aquo est rare; elle se rencontre cependant dans les combinaisons suivantes: 1 aco V. 45, per aco, aquo V. 53, tôt aco V. 100.

La forme neutre apocopée s'écrit indifféremment zo et sa.

En ce qui concerne la flexion des pronoms aquest et aquel il faut noter qu' au nom. plur. inasc. les formes

5i

ayant subi l'action de la métaphonie s'emploient con- curremment avec celles en -e-, ainsi : aqirist V. 8 1 , aquest V. 29 et, dans le même document, V. 8i, les formes aqueig, aquig.

32. Sur l'emploi de ipse comme pronom démon- stratif cf. la syntaxe.

Conjugaison. Personnes. 33. A la ire pers. du prés, de l'ind. je ne trouve que les formes dont V. 42, 75, 101, iii, lauzi, ciutorguiN . 10 1, 1 1 1, présentant donc 17 de flexion qui subsiste encore sur une partie du domaine rouergat.1

34. Il paraît qu'il y a eu, déjà à cette époque, quelque hésitation sur la consonne finale de la désinence de la ire pers. du plur. La forme dominante est ter- minée par m, mais M. Constans cite2, dans les Coutumes, asseguran à côté de asseguram, en ajoutant que la forme en -n se rencontre assez souvent dans ce texte. Dans la pièce V. 112, j'ai noté six fois aven à côté de serein. En dehors de ces cas, le cartulaire n'offre pas d'exem- ples de cette particularité.

35. A la troisième personne du pluriel, les finales -ant et -ent n'ont laissé aucune trace. La forme con- stante de la désinence est -0, variant, si un i précède, avec -u3:

1 Cf. Constans, p. 192.

2 Ouvr. cite, p. 192.

3 Je ne trouve ancune indication sur la répartition géogra- phique de ces formes au XIIe siècle. Pour les siècles suivants, elles ont été signalées dans le domaine central du languedocien

dép. Lot, Lot-et-Garonne, Tarn, Tarn-et-Garonne, Haute-Garonne, Aude , cf. Paul Meyer, Romania, IX, p. 213, Jeanroy, Purgatoire de saint Patrice, p. LUI.

5-

prés. tic 1 i n cl. et du subj.:

demostro V. 55, domando App. 2, departo V. 55, valio AA. 1 ( 1 185), prengo Coût., sio V. 93, si// V. 104;

imp. de l'ind. :

demandavo, razonavo V. 81, rencuravo App. 2, «tw GG. 30 (1176), ^W/c V. 73, /Vy//V; App. 2, querio App. 2, respondio App. 2, avenio V. 91, ai'/// V. 39, podiu GG. 30 (1176), escaziu GG. 30 (1176);

p a r f . :

jurero A A. i (1198), </m? V. 93, finir 0 App. 2, preiro V. 58, y^vv? V. 24, tei/gro, convcngro GG. 30

(1176);

imp. du subj.: demandesso V. 100, fazesso App. 2;

cond. I & II:

estario V. 9, dizerio, retrairio V. 106, deurio App. 2, conqueregro V. 53.

La conservation de // finale est exceptionnelle; dans mes documents je n'en trouve que le seul exemple de von V. 58. S'il faut s'en rapporter au texte de l'éditeur, les Coutumes offriraient plusieurs fois cette particularité, ainsi volun, mm, vaun?

La forme du prés, du subj. des Coutumes tragan me paraît douteuse.

Pour vadunt et *habunt et par conséquent au futur, nous trouvons va//, a/i et -au. Ces formes appartenant à un territoire flanqué par Agen, Aurillac et Montpellier et qui s'étendait, à l'est, jusqu'aux Alpes Maritimes,2 forment un des traits les plus caractéristiques de nos documents; je cite va// V. 1, au V. 73, sera// V. 73, GG 30 (1174), gazai//}/araii V. 59, auzira/i II. 1 (1167), V. 20, audirau V. 112, possedirau V. 69, issirau V. 106, avenrau AA. 1 (1174), endevenrau V. 66, escairau V 66,

1 Cf. Constans, pp. 197, 198.

2 Cf. Rotnania, IX, p. 192 et ^lh\.

53

conquerrait V. 62, poirau V. 40, metrau V. I, tenrau V. 100, veiraii V. 112.

Temps et modes. 36. La conjugaison des verbes faibles ne suscite que peu de remarques. Men- tionnons seulement qu'en dehors des formes régulières, ces verbes présentent, à la 3e pers. du sg. du parfait, une forme analogique en -c, dont il y a dans nos docu- ments de nombreux exemples: donec AA. 1 (11 74, 1 198), V. 102, m, laudec AA. 1 (1174), V. 102, ImtzecN. 16, mandée AA. 1 (1174), V. 10, acaptec V. 102, plevic V. 81, gi tir pic II. 1 (1165, 1 1 78), garp ic App. 1, moric V. 104, dec (< dédit) AA. 1 (1 174), vendec II. 1 (1165).

Evidemment, c'est à l'analogie des prétérits en -ni que sont dues ces formes, caractéristiques autrefois de l'Albigeois, du Toulousain et du Pays de Foix1 et qu'on a aujourd'hui surtout dans le dialecte de Toulouse.2

37. Dans la conjugaison forte, des formes faibles commencent à s'introduire et à faire concurrence aux formes régulières à la ire et à la 6e pers. du parfait; je note à la ire pers. aigui, qui a entraîné devezigui et departigui, se trouvant toutes dans le même document, V. 67. A la 3e pers. du plur., les formes fortes sont la majorité; à côté de celles-ci, on trouve dissero V. 81, presero V. 101, conqitesero App. 1.

L'analogie ne s'est pas étendue à la 3e pers. du sg., nos documents ne connaissent que les formes fortes: ac II. 1 (1167), AA. 1 ( 1 1 74), moc V. 104, reconoe, re-

' Dans l'albigeois du XVe siècle, la 3e pers. du sg. est, au parfait, le plus souvent en -c, cf. Jeanroy, Purgatoire de saint Pa- trice, p. XLIII. Paul Meyer localise ces formes dans l'Aude, l'Ariège, la Haute-Garonne, le Tarn et le Tarn-et-Garonne, cf. Paître/ et Peton, Introd., p. LXIII.

'-' Anglade, Gramm., p. 272.

54

conog V. 55, retec V. 13, /r/^ AA. 1 (1174), venc App. i, etc.

38. Pour la comparaison entre la langue de nos documents et celle de Kaimon-Jordan la forme ci (< ha- beo) Y. 50, 75, etc., est d'une certaine importance. Elle n'est pas fréquente --ce qui tient à la forme diplo- matique — mais c'est la seule forme qu'on trouve à la ire pers. du prés, du verbe aver. Ai ne se rencontre jamais dans nos documents.

39. Le participe conquist V. 49, AA. 1 (1 198), employé comme subst. App. 1, doit sa forme à l'influence du parfait.1

Notons enfin, à côté de escriut V. 108, sobrescriutas AA. 1 (1185), le participe analogique fréquent sobrcscrich V. I, formé d'après sobre diclir

C. REMARQUES SYNTAXIQUES.

40. Nos documents présentant une prose pour ainsi dire savante fourmillent des termes de palais et des locutions consacrées par l'usage judiciaire, il est évidemment impossible de fonder là-dessus une étude syntaxique. Qu'il me soit permis, cependant, d'attirer l'attention sur l'usage extrêmement fréquent du pronom ipse dans un emploi qui découle directement de ce style factice. Pour subvenir au besoin de la clarté, ipse non seulement renforce l'article et les pronoms démonstratif et possessif, mais se met aussi, et très souvent, devant un nom propre, ainsi p. ex. eissas las terras AA. 1

1 Cf. Wahlgren, Les actions analogiques du parfait et du par- ticipc -passé, p. 82.

2 Cf. ci-dessus, p. 44.

55

(1185)1 eissa la villa A A. 1 (1 198), eis si li fraire V '. 73,

ad risses los fraire s V. "/ '6, eissa la gleia V. 80; eis sa s aquestas terras AA. 1 (1185), en eissa aquesta fi App. 2; râw /# lor terra V. j6\ eis Peire Es eu de r II. 1 (1 165), eissa Amanca AA. 1 (1 174), ad eis Peiro vezcomte AA. 1 (1174), eis Proetz de C ai s sac A A. 1 (1174), eis Isarns AA. 1 (1185), d'eis Frotar A A. 1 (1198), eissa Ermen- gard V. 96. C'est un latinisme pur, cf. dans V. 72, document rédigé en langue vulgaire, ipsis supradictis fra tribus Templi et dans V. 57, rédigé entièrement en latin, ipse Fort Sont i us, ipsa p redicta ecclesia, etc. A mon avis il faut supposer que ces constructions savantes sont pour quelque chose dans l'emploi analogue de eis qu'on trouve dans les monuments littéraires, cf. Boec. eps los forfaitz (Appel, Clirest., 105, 15), Jaufre aquesta eisa gerra (Ib., 3, 152), Bern. de Ventadorn (éd. Appel 23, 30) d'eus lo seu tort.

41. L'accord du part, passé se fait d'après les règles ordinaires qui sont appliquées avec une grande constance. Les quelques exceptions qu'on peut signaler doivent certainement être attribuées à la négligence des copistes; je note aquest dos sobrescriutz fo fag V '. n, 26, aquest dos fo faig V. 29, 31, construction assez fréquente dans nos textes.

Par une attraction à un subst. figurant dans ce qui précède, un participe dont le sens demande le genre neutre s'accorde avec ce subst. dans les phrases comparatives introduites par si co; cf. à côte de tôt aquest do si co sobrescriut es V. 107, la construction tôt aquest do, si co sobrescriutz es V. 80, 91, etc.

Notons enfin que dans des constructions telles que el s'en tenc per pagatz V. 55, s'en tengro per pagat V. 58, cf. V. 82, GG. 30 (1176), le participe (ou l'ad-

56

jectif) se rapporte toujours au sujet, construction qui appartient, selon Raimon Vidal1, au langage familier.

Peut-on reconnaître quelques-uns de ces traits dia- lectaux dans les poésies de Raimon -Jordan, ou en d'autres termes: la langue de notre troubadour, dans quelle me- sure se ressent-elle du dialecte de son pays natal? Ques- tion bien délicate et certainement impossible à résoudre. Il serait évidemment inutile d'établir en détail une com- paraison entre la langue de nos documents et celle du troubadour, puisque les formes des mss. sont celles des copistes, bien postérieurs à Raimon-Jordan; malheureu- sement aussi, des rimes significatives nous font en gé- néral défaut une comparaison serait possible. Demora, rimant avec fora, plora et d'autres mots en -o-, tandis que demor (sbst.) rime avec cor, for, tnor, etc. (XI), (Vil), ne fournit pas la base d'une comparaison puisque nos documents sont tous en prose. L'instabilité de Xn, résultant des rimes faissos : bos : temoros : vos : orgollios, prou : no)i (IV), perdos : razos : ocaizos : amoros : vos (VI), est bien la même que dans les documents, mais se trouve partout. D'autre part, les formes quei {:dei<L debeo) (III) et plai (< placitum) (: irai : sai ' : perdrai : ai) (II)2 n'appartiennent pas au dialecte de Saint- Antonin, la seule forme est que et qui ne connaissait, au XIIe siècle, que plag et plait. Seulement, quei se trouve aussi ailleurs, par exemple dans Bertran de Born, et plai était depuis longtemps incorporé dans la langue des troubadours3; la seule chose que nous apprennent

1 Stengel, Prov., Gramm., p. 78. Cf. encore Niestroy, Pisto- leta, p. 37.

2 Cf. dans la pièce IX plais : /a/s, /nais, /uns, etc.

3 Sur ces emprunts aux dialectes septentrionaux, cf. Appel, Lautlehre, p. 17.

57

ces rimes, c'est donc que quelques-unes des particularités de celle-ci se retrouvent chez Raimon-Jordan; sur le rapport de la langue de ses poésies avec celle de Saint- Antonin, elles ne nous disent rien. Il faudrait peut- être attacher plus d'importance à la forme ai (< habeo) qui rime avec perdrai, mai, ver ai, assai, etc. (il); la seule forme des documents étant ei, la rime en question nous permet de reconnaître une différence réelle entre la langue de Raimon-Jordan et le dialecte de Saint- Antonin. En présence de ce fait et ne pouvant donc établir, à l'aide des documents, une base solide pour l'ortho- graphe de mes textes, je me suis décidé, en m'inspirant des principes de Chabaneau exposés par M. Angiade dans l'introduction de son édition de Rigaut de Rar- bezieux, à adopter l'orthographe conventionnelle des récentes éditions des troubadours. J'écris donc partout Ih et non pas /'//, //. D et c assibilés sont toujours rem- placés par z; s est réservée pour s douce provenant de s latine. Le z final primitif est représenté par tz, et toujours par it, non par g, cJi. Aussitôt qu'il ne s'agit pas de simples graphies et l'usage de Saint- Antonin est bien établi, je tiens cependant compte du résultat de mes recherches sur ce dialecte. C'est ainsi qu'en ayant soin de ne pas anticiper un développement phonétique postérieur à notre troubadour, je fais figurer e, o latins à l'état non-diphtongué. Enfin, pour ne pas introduire dans mes textes des formes absolument étran- gères à Saint-Antonin, j'adopte, pour c initial devant a, la notation c; d'accord avec la plupart des mss., j'écris pourtant cJiantar. chanson, cliauzir, chauzimen, esehai, toutes formes familières depuis longtemps aux troubadours.

TEXTES

TABLE DE CONCORDANCE

Bartsch

1. Xo'm pose mudar no diga mon veiaire 5

II. Aissi corn cel qu'en poder de senhor 1

III. Per solatz e per déport 7

IV. Vas vos soplei, domna, premeiramen 11

V. Ter quai forfait o per quai falhimen 6

VI. S'eu fos encolpatz 10

VII. Amors, nom pose partir ni dessebrar 3

VIII. Raimon Jordan, de vos eis volh aprendre 9

IX. Vas vos soplei en cui ai mes m'entensa 12

X. Ben es camjatz ara mos pessamens 2

XI. Quan la neus chai e gibron li verjan 8

XII. Vert son li ram e de folha cubert 13

XIII. Lo clar temps vei brunezir 4

I. - - NOM POSC MUDAR NO DIGA MON VEIAIRE

Mss. C (fol. 154 a), imprimé par Raynouard, Choix,

V, p. 379- Pour le premier et le deuxième couplet, en outre

Breviari d'cwior, vv. 30210 19 et 2828 o 8g :

A = le texte de l'édition imprimée.

B même source que pour A.

C très incorrect; je ne donne pas en général les variantes.

L imprimé par Mahn, Gedichte, I, pp. 207, v. 1 10, 186

v. 11 20. F = ms. de Vienne 2563 \ Mussafia, Jahrbuch, V, pp. 402, &= ms. de Vienne 2583 J 404.

En utilisant quelques-uns de ces mss., Suchier a publié le poème dans Jahrbuch, XIV, p. 284; je m'écarte quelque- fois de son texte.

I Nom pose mudar no diga mon veiaire D'aisso dont ai al cor molt gran dolor, Et er me molt mal e greu a retraire,

Car aquist antic trobador Quen son passât, die que fort son peccaire, 5

Ou'ilh an mes lo segl' en error, Que an dit mal de domnas a prezen, E trastuit cilh qu'o auzon crezols en Et autreion tuit que ben es semblansa Et aissi an mes lo segl' en erransa. 10

1 C Brev. A No puesc 2 C error 3 C Brev. F; Brev. A mal e greu mot Brev. B supprime mot 4 Brev. A autre tr. 5 C Brev. A son fort 6 Brev. L Quels.

62

II E t ni t aquist que eron bon trobaire luit se fenhon per leial amador, Mas eu sai be que non es fis amaire Nuls hom que diga mal d'amor, Enans vos die qu'es vas amor bauzaire 15

E fai l'usatge al traïtor [Cel] que de so, on plus fort s'[i] aten, [Plus] ditz (de] mal aissi tôt a prezen, Car neguns hom, s'avia tota Fransa, Xo pot ses domn' aver gran benestansa. 20

III E ja nuls hom que sia de bon aire Xo sufrira qu'om en diga folor,

Mas cilh que son vas amor trie e vaire

Se'n anon es tenhon ab lor; Qu'En Marcabrus, a lei de predicaire, 25

Quant es en gleiza o[-z] (denant) orador, Que di gran mal de la gen mescrezen, Et el ditz mal de domnas eissamen; E die vos be que non fes gran honransa Cel que ditz mal d'aisso don nais enfansa. 30

IV Ja no sia negus meravelaire

S'eu aisso die ni volh mostrar alhor Que cascus hom deu razonar son fraire

E quega domna sa seror; Car Adams fo lo nostre premier paire 35

E [tuit] avem (Dami)Deu ad auctor,

12 Brev AF fenhian Brev. A L omettent per leial l^Brev. I. supprime que - 14 Brev. A Ni leals bonis Brev. BL Lunh(s) hom 16 Brev. A L'usatge traidor 17 C Brev. AL Que de so on plus fort s'aten; Suchier corrigé Cel que . . . s'i aten 18 C Brev. AL Ditz mal; Suchier torrige Plus ditz de mal

24 C Ho tuzonon e s'en 29 C non les grans h.

34 C que ia 35 Suchier corrige E nos a. Damideu

63

E s'eu per so volh far razonamen

A las domnas, no m'o reptes nien;

Car domna deu a-z autra far onransa,

E per aisso ain eu dit ma semblansa. 40

I. Je ne puis m'empêcher de dire mon avis sur ce dont mon cœur ressent une très grande douleur; cela me sera très dur et très pénible, car ce que j'ai à dire c'est que les anciens troubadours dont le temps est passé, ont très mal agi. C'est qu'ils ont induit le monde en erreur, en médisant ouvertement des dames; et comme tous ceux qui l'entendent, les en croient, et que tous reconnaissent qu'il y en a bien l'apparence, ils ont trompé le monde.

II. Et tous ceux qui furent de bons troubadours se vantent sans exception d'être des amants loyaux, mais je sais que nul homme qui dise du mal de l'amour, n'est un amant accompli; au contraire, je vous dis que celui-là trahit l'amour et agit comme un perfide qui, plus il aspire à une chose, plus en dit ainsi de mal ouvertement, car aucun homme, aurait-il même toute la France, ne peut trouver, sans dame, un bonheur parfait.

III. Et jamais nul homme qui soit de quelque mérite, ne souffrira qu'on dise des folies des dames; mais que ceux qui sont trompeurs et inconstants vers l'amour s'en aillent et se tiennent avec les leurs. Le sieur Mar- cabrun en est un; comme un prédicateur qui, lorsqu'il est dans l'église ou dans l'oratoire, dit grand mal des mécréants, ainsi lui médit des dames; et je vous dis que celui qui dit du mal de celles qui donnent le jour aux enfants se fait peu d'honneur à lui-même.

IV. Que personne ne s'émerveille si je dis cela et si je veux montrer à autrui que chaque homme doit défendre son frère et chaque dame sa sœur, car Adam fut notre premier père, et nous avons tous Dieu pour auteur de nos jours. Et si pour cette raison je veux défendre les dames, qu'on ne m'en blâme pas, car les dames doivent s'honorer entre elles; c'est pourquoi j'en ai dit mon opinion.

39 C far razonansa.

64

11. AISSI COM CEL QU'EN PODER DE SENHOR

Mss.: A (366), B (134, M G 17), C (fol. 151 cl), D (305), / (fol. 83 c), K (fol. 676), J/ (fol. 190 d, M G 67c), 7" (fol. 214 v). Dans M, le poème est attribue à Gui d'Uisel.

L'ordre des strophes est partout le même.

Par les vers 22, 32 et 44, AB, qui sont presque identiques, s'accusent comme des rédactions indépendantes; ces deux mss., qui paraissent reproduire le plus fidèlement l'original et qui n'ont de fautes en commun avec aucun des autres, forment donc une branche particulière. De ces dernières rédactions, DIK vont ensemble aux vers 34 et 42. CMT sont très apparentés, ce qui ressort des vers 16, 25, 39 et 41. Les vers 15 et 23 font conclure que IKMT ont un original commun. Enfin C, qui au vers 15 et 23 va avec AB, s'accorde au vers 43, T a une leçon particulière, avec les autres mss. de ce même groupe. Avec ces don- nées, une stricte filiation des mss. est impossible à établir. Je prends comme base du texte critique AB, tout en rem- plaçant leurs leçons particulières par celles de l'autre groupe; en général, je choisis dans ces cas les leçons représentées par C.

I Aissi com cel qu'en poder de senhor Es remasutz per totz temps e casatz E non pot far mas quan sas voluntatz E, s'il fai ben o mal, portait lauzor, t

Sui remasutz, domn', en vostre poder, Qu'alhors non pot mos fis cors remaner Mas quant ab vos a cui guiren non trai Mas de merce e no s'en met en plai.

2 T E -- 3 T sa v. 4 M fai mal porta'n grat e lausor />'/' porta'ill lauzor 6 C no'm pot mon tin cor 7 T Mas se a VOS 8 M no se met T merce non son met e plai.

65

II E quan remir vostra fresca color E l'adreit cors e las plazens beutatz E quan mi pens quais etz ni com parlatz Ni com renhatz leialmen ab honor, 1 2

Mais am de vos lo solatz el vezer E'1 ben el mal que m'en pot escazer Qu'ades jauzir del plus rie joi qu'eu sai, Doran', endreit vos esgardatz quem n'eschai. 16

III Si sentissetz un pauc de la dolor Qu'eu sent per vos, adoncs mi graziratz

Los mais qu'eu trac, don mi tenc per pagatz

D'un ardimen qu'ai endreit vostr'amor, 20

Qu'eu aus de vos desirar e voler

So que nous aus mostrar ni far parer,

Mas ab lo cor vos quer eus o querrai,

Pois la lenga'm falh en tan rie assai. 24

IV Vostre bel fait fan vostre pretz melhor E la valors melhura las beutatz,

El vostre pretz es tan gent enansatz

Queus fai gardar de blasm' e de clamor, 28,

E fai per tôt vostre rie pretz saber,

E s'eu ja ren pose en vos conquerer,

9 C Quan ieu T E car remir 10 T la plaisentz il M en marge -- 13 T e'1 solatz 14 IK o"l mal T manque 15 IK rie loc M luec T lioc 16 manque dans D ; CT Domn'estiers M doncs garatz.

18 M m'agra giratz 19 A trai donc T Lo mal 20 T Don 22 AB So q'ieu non aus D So qe'us non aus IK So qu'e'us no'us aus M So qe no's aus T So c'ieu no vos - - 23 I e'us querrai K e'us e querrai M e vos qerrai T vos cier e vos cerai

24 M Pos qe'l 1.

25 CM Vostres ricx faitz T Vuostre rie fatz -- 27 C E vostre M E vostres 28 T e de folor 29 T E fai v. onratz près

5 =2I4>-:.

66

lien sui segurs que ja non o perdrai,

Tan sui eu fis e tan bon cor vos ai. 32

V Bem sai gardar de blasm' e de clamor, Doran', endreit vos a cui me sui donatz, Mas ges nom gard de gen sofrir en patz Ni d'enansar totz temps vostra lauzor; 36

Mas bcm gardi de vos far desplazer, Mas ges nom gard, domna, de lonc esper; Mas bem gardi que nuls hom tan ni mai Non pot amar, domn', ab fin cor verai. 40

VI Tan vos det Deus d'astre e de poder, Bona domna, que hom nous vai vezer, S'al cor marrit no li torne en jai, Salv vostre pretz, segon so quel n'eschai. 44

I. Ainsi que celui qui est toujours resté au service d'un seigneur et ne peut que faire toutes ses volonte's et, que le maître fasse du bien ou du mal, lui en fait des éloges, je suis resté, dame, en votre pouvoir, car mon coeur fidèle ne peut rester ailleurs que chez vous, auprès de qui il n'a d'autre garant que la grâce et à qui il ne s'oppose jamais.

II. Quand je regarde votre fraîche couleur, votre corps parfait et votre gracieuse beauté, et quand je songe à ce que vous êtes et comme vous parlez ou comme vous vivez loyalement en honneur, j'aime mieux votre société et votre vue et le bien et le mal qui m'en peuvent arriver

31 T Ben soi segur 32 AB Tant vos sui ET fins M cors.

34 DIK m'en son 35 A servir 36 M vostra valor y] C ben guardi; puis que nul biffe IKT gardei 38 7"gart de vos del bon esper - 39 C nulh hom sai ni lai M nuill hom /' null tan 40 C camiar, don', al.

41 CM de saber / astre T d'astres e de poders 42 /VA' vau 43 CIK tornetz M Si al cor marriti no li tomes T Sael cor iras no'il torn' e gai 44 A Salv vostres prêt/ AB SO qe'iÙ T ce n'escai.

67

que de jouir toujours de la plus grande joie que je sache; voyez, dame, en ce qui vous concerne quel est mon sort.

III. Si vous sentiez un peu de la douleur que j'éprouve à cause de vous, alors vous me sauriez gré des maux que je traîne et qui excusent la hardiesse de mon amour pour vous, car j'ose désirer et vouloir de vous ce que je n'ose vous montrer ni faire paraître, et mon coeur vous le demande et vous le demandera, puisque la langue me fait défaut dans une entreprise si belle.

IV. Vos belles actions rehaussent votre valeur et celle-ci rend plus belle la beauté; elle est si grande qu'elle vous fait exempte de blâme et de réclamation et fait con- naître partout votre haut mérite. Si je peux obtenir quelque chose de vous, je suis bien sûr que je ne le perdrai jamais, tant je suis constant et tant je vous aime.

V. Je sais bien me garder de blâme et de réclama- tion de votre part, dame, à qui je me suis donné, mais je ne sais pas me défendre contre la secrète souffrance ni cesser de vous louer constamment; je me garde bien de vous faire déplaisir, mais je ne puis supporter la longue attente; et je prends bien garde que personne ne puisse aimer de cœur franc et vrai, autant, ni davantage.

VI. Dieu vous a donné, noble dame, tant de bon- heur et de pouvoir que nul homme, bien que son cœur soit triste, ne peut vous voir sans que la joie y renaisse par ce que votre mérite, qui reste sauf, lui réserve.

III. PER SOLATZ E PER DEPORT

Ms. : C (fol. 152 d). Imprimé d'après ce ms. par Appel, Prov. Inedita, p. 282 et suiv. Le troisième couplet imprimé aussi par Raynouard, V, p. 380. Dans le ms., V pré- cède IV. J'ai adopté plusieurs corrections proposées par Appel, /. c.

I Per solatz e per déport mi conort d'un' amor que'm senh em destrenh,

68

qu'aras madutz un talen 5

don sai ver amen

que morrai,

qu'i assai un fol ardimen, dont ai espaven 10

e doptansa.

II E mas mos cors m'a estort

de greu mort, no volh mais que renh

ab fais genh; 15

ans vir mon entendemen vas la plus valen

quel mon sai,

e métrai' m al seu chauzimen, . 20

e s'ilh m'o cossen,

gen m'enansa.

III Amors, sius plagues preiar

leis d'amar, feiratz gran merce 25

endreit me; car ses leis no pose guérir, ni eu no l'aus dir

quai mal trai.

Per Deu, vai 30

lim son cor ferir sol tan quen cossir

on sospire!

12 C mon cor

29 C lo mal qu'ieu tray.

69

IV Mas nos cove del m eu par

qu'aus parlar 35

de leis e per quei?

Car no dei ni'rn tanh d'aitant enardir (qu'eu l'aus dir

lo mal qu'eu trai); 40

nii dirai ja per que s'azir, mas en volh suffrir

greu martire. 44

V Pero far li dei saber

quai poder a en mi qu'a près

e conques, qu'eih serai hom et aclis

vertadiers e fis 50

tostemps mai.

Fol sen ai, car anc re li dis qu'ans serai totz gris

qu'ilh m'entenda. 55

VI Mas per so ai bon esper que valer me poiria merces

mais que res qu ans conquer lonhdas aclis 60

qu'orgolhos vezis

quan s'eschai - ; per qu'ei ai

38 C ni tanh.

49 C noms 63 C qu'ieu.

mon fin cor assis,

qu'aïs nom abelis 65

on m'entenda.

\'II Chansos, mos Garis

volh t'aprenda.

I. Tour toute joie et pour tout plaisir j'ai le récon- fort d'un amour qui me lie et qui m'étreint le coeur; il m'inspire maintenant un désir dont je mourrai certainement, je le sais, car j'éprouve une folle ardeur, dont j'ai peur et épouvante.

II. Et puisque mon cœur m'a sauvé d'une mort affreuse, je ne veux plus qu'il vive d'une fausse vie; mais je tourne ma pensée vers la plus noble que je sache au monde; je me mettrai sous sa loi, et si elle y consent, cela me sera d'un beau profit.

III. Amour, s'il vous plaisait de la prier de m'aimer, vous me feriez un grand bienfait, car sans elle je ne peux guérir, et je n'ose lui dire de quel mal je souffre. De par Dieu, va lui férir le cœur pour qu'elle y songe du moins et qu'elle soupire.

IV. Mais il ne convient pas à un homme de ma condition d'oser parler d'elle. Et pourquoi? Parce qu'il ne m'est ni permis ni convenable de m'enhardir jusqu'à lui dire de quel mal je souffre; et je ne dirai jamais rien qui la fâche, mais je veux souffrir grand martyre à cause d'elle.

V. Pourtant je dois lui faire connaître le pouvoir qu'elle a sur moi, qu'elle a pris et conquis, car je serai son serviteur et esclave sincère et fidèle à tout jamais. Il faut que je sois fou si je lui dis jamais rien, car je serai tout gris avant qu'elle ne m'écoute.

VI. Mais pour cela j'ai bon espoir que la grâce pourrait m'aider plus que rien autre chose car il arrive qu'un ami lointain obtient plus qu'un voisin orgueilleux ; c'est pourquoi je lui ai donné mon cœur loyal, et il ne me plaît pas de faire la cour à une autre.

VIL Chanson, je veux que mon Garin t'apprenne.

7i

IV. - - VAS VOS SOPLEI, DOMNA, PREMEI- RAMEN

Mss.: A (369), B (136), C (fol. 150 c, MG 786), D (401), I (fol. 82 c), K (fol. 66 b), Z (fol. 8r.), M (fol. 102 b), <9 (57), i> (106), 5(130), t/ (fol. 123 a), [F (fol. 194 a), a (265), /(11). Anonyme dans 01V. Ce dernier ms. donne la notation musicale du poème.

Ordre des strophes:

1234567 ABDIKU

123456.T8 C

123456 M

15463278 a

i243567 L

1265348 PS

162345 W

12645 /

1425 <9

De ces 15 mss., CLMOPSUWf présentent la faute singulière que dans le troisième et le quatrième couplet, cf. les vers 18, 21, 22, 24, 29 et 30, l'auteur ne s'adresse plus à la dame mais qu'il parle d'elle. Il faut seulement remarquer que L est correct aux vers 29 et 30, faiz, non pas foi; cependant, le ms. porte très distinctement les traces d'une correction, -z ayant été ajouté à la forme fai. A ce même groupe il faut compter aussi a qui excepté dans les deux couplets 3 et 4, va partout avec les mss. présentant l'incorrection. Il faut supposer que le copiste de a, n'approuvant pas et pour cause les leçons de son original, s'est servi pour ces deux strophes d'un ms. correct.

Le premier de nos deux groupes, ABDIK, se divise de la manière ordinaire en A B et D IK, cf. d'une part vv. 45, 49, 50, de l'autre vv. 38, 41 et 45.

Dans le deuxième groupe, L occupe, d'une manière décisive, une place à part, ce qui ressort des vers 11, 20, 23, 25, 44 et 46, L va avec les mss. A K. Le vers 24 montre que CMaPS, auxquels, à en juger par 10, 11, 25, etc., il faut ajouter aussi O, sont apparentés. De ces six mss., PS, qui doivent être regardés comme deux copies d'un seul et même texte, ce qui ressort d'une part de l'ordre des strophes, d'autre part d'un très grand nombre de vers, tels

7-

:o, 38, 44, 45, 54 et 55, s'accordent avec A KL aux vers 34 el [6 (ai vist); il faut donc les distinguer des autres. Ceux-ci se répartissent en dviw groupes: CM, qui vont en- semble aux vers 20, 23, 24, 34, 43, etc. el Oa, présentant des ressemblances aux vers io, 30 et 34.

Reste à fixer la place de Cil'/, ce qui est d'autant plus difficile < pie f est incomplet et que W s'écarte beaucoup des autres rédactions. Que ces trois mss. forment un groupe particulier, c'est indubitable, cf. à cet égard les vers 10, 28, 34, 47 et 48. Comme d'une part U, qui est décidé- ment le meilleur représentant de ce groupe, présente le même ordre des strophes que A K et qu'indépendamment des autres il s'accorde avec A KL aux vers 10, 24 et 25, comme d'autre part l'un ou l'autre des trois mss. va avec PS aux vers 18, 22, 39, 47 et 48 pour suivre CMOa aux vers 34 et 46 PS gardent les leçons correctes, il ne me reste qu'à mettre UWf à l'égal de PS et de CMOa et d'expliquer comme tout accidentelles les ressemblances que le premier groupe présente avec les deux autres. Je conçois donc ainsi la filiation des mss.:

O

Pi

A B I) IK I.

! PS

U

rh rh

W f CMOa

D'après ce tableau, les leçons communes à A A' et à L ont appartenu à l'original, et je m'en sers pour le texte critique. Dans les cas douteux, je donne la préférence au premier groupe, ces mss., dont les divergences sont très peu considérables, reproduisant avec une grande fidélité les leçons de leurs originaux.

I Vas vos soplei, dorana, premeiramen Per cui eu chant e comens ma chanson, E, s'a vos platz, entendez ma razon,

1 Cf A vos

73

Ou'estiers nous aus descobrir mon talen, 4

Qu'aissi m'aven quan vei vostras faissos;

La lengam falh el cor n'ai temoros,

Car qui non tem non ama coralmen,

Per qu'eu tenh car lo vostre senhoratge. 8

11 Tant ai assis mon désir finamen

En vos amar, que, si Deus ben mi don,

Mil tans am mais servir vos en perdon

Que nul'autra per far mon mandamen, 12

Qu'ab tan gran gaug s'atrai mos cors vas vos

Ou'anc, pois vos vi, non fui d'el poderos,

Tant enveios sui del vostre cors gen,

Ou'aqui mezeis remanh en vostr'estatge. 16

III E si conosc que fatz gran ardimen,

Car ja vos prec d'amar ni mot von son,

4 W C'altre non aus L no aus 5 BD mir DW vostra faison 6 CIKLMOUWf ai temoros 7 BD Que 0 finamen - J? //' Per oc ten.

10 CMOPSUa En vostr'amor B gran be'm don CBS que ja Dieus be no'm do M si ja Dieus be mi do Oa don ja Dieus ben no'm do L r qar se Dieus ben mi don / En vos, donna, que va IV En vos, dosna, se Dex jauzir m'en dons L se Dièus grantz be me don -- 11 DIK .Mil tanz vos am mais CBSaf S'ieu mais no'us am servir tôt M Que mais vos am fuir tôt en perdo W Que mieuz vos am servir tôt en perdons 0 Se mais no'us am servir en plan U Trop mais vos am servir em plan perdon -

12 DIK C'a nuill MW Que de null'autra far tôt mon IV a far mon m. L'a Qe de nul'autr'aver m. m. 13 OPSU mon cor C joy IV car si granz jois retrait mon cor vers vos 14 DIK Ane A non d'el fui COPSU dais non fui W Pos que vos vi non fui aine p. a Q'ieu pos vos vi ■- 15 ABIKOUf fui CIV deziros - 16 ABD Que aqui e'us AIK renias PS C'ab mi meteis remas

f C'a mi mezeis mi remas en hostage M Qe mi meteis L Q'en lues metzeis 0 Car cil metheus remais a Q'aqi mezeus IV Conquis m'avez remaig en vostre ostage.

17 t" Ar conosc ben a Eu conoisc ben W E sab trop ben qu'eu faz fol a. C falhimen 18 AD vos son B met mon sen

74

Mas eu non pose partir ma sospeisson

E sai e cre quem trebalh de nien. 20

Tan fai beutatz vostre cors orgolhos

E'1 vostre pretz fai poiar sobrels bos,

Per qu'eu m'esmai d'enoi e d'espaven,

Tal paor ai m'o tengatz a follatge. 24

IV Mas s'eu folei, ben o fatz escien.

Sabetz per que, car mi platz em sap bon,

E dirai vos per quai entencion :

Ben esperan ven hom a salvamen, 28

E, sim faitz ben, moût en serai joios,

E, sim faitz mal, sofrirai pesansos;

a Qant ieu d'amar vos prec e no'us sap bo C Quar hieu la prec d'amor . . . li'n so M Qan ja la prec d'amor . . . lle'n so W Quan eu la prei d'amors ni mot en son PSU Qant eu ja l'enqer ... li'n son L Que za la prec d'amar ne'il met lo son 19 CM Ni non puesc ges II r Mais aine non pos a E non e puesc toler 20 PS Pero ben sai U E si sai ben a Anz m'o sai ben qi en W Et sab trop ben C Si be'm conosc M E si conosc qu'ie'm D qu'i tr.

- 21 L son gen cors orguoillos PS son rie c. o. U Tant es valens son fin c. o. a Tant es valentz vostre cors o. C Tant es sos pretz e sos cors ergulhos M = C . . , caballos W Tant a beltas son gent c. o. 22 DI K E vostre I K pretz puiar C E son rie pretz que monta L E son richs prez fai pozar PS E son rie prez es pozaz l E son ries prez tant poiat W Que son reu près fait puiar soubre toz a E tant puiatz so'm penz de M manque 23 6" muer d'esmay M mi mueir d'esmai PS n'ai mais d'esmai L ' m'endoi esmai espaven a Q'ieu m'en cossir d'esmai //' Qu'eu desirrans souspir en esper\ens 24 D q'il mo tengn'a l ' qe m'o'n tenga L que ne'l tenga CM E sui duptos que mantengua

M qar mantenc gran PSa Tan soi dotos /' dolos a cochos) q'eu m'o tenc W Et temeros que non tegne.

25 CMOPSWafE C fas ho ben Da ben lo fez L faz lo be PS ben faz a U faz o a 26 ALf m'es bel C m'es belh e m'es bo W el m'est bel si m'est bon 28 Uf Ben esperans O Ben esperatz W Bons esperars tient l'orne 20 .//>' Car CO S'elha'm fai MPSUf të\ W Et s'en faz ben 30 CMPSUf fai 0 E se;m destreing sofrir l'ai per sazos / sufrir l'ai pensaios a sufrirai'l

75

Grazirai lo ben el mal eissamen,

Ou'aissi farai lo conort del salvatge. 32

V Bona domna, merce' us trac per guiren, E, si Merces ab vos no mi ten pron, Per merceus prec que Merces vensal non, E ja d'aisso nom veiretz recrezen; 36

Anz clamarai tan Merce a rescos Tro per merce tenhatz mas mans amdos Entre'ls vostres; e faretz chauzimen Quais non es menhs de certan homenatge. 40

VI Qu'eu vos donei per fe e leialmen Lo cor el cors de que faitz tenezon, E platz me moût, car sai que vostr'om son, Qu'us bons respeitz me ten de vos jauzen; 44

per auzos W Et s'eu fai mal 31 ABDf Grazirai vos ben e'1 mal IK Grazirai vos bens e mais L Gr. vos e'1 ben e'1 mal C E gr. bes e mais U Graurai lo bens e'1 mais \V Et jausirai ben e'1 mal 32 ABDM E si'm L E si farai OlVaf Aissi.

23 IKa Bella O Bella . . . clam W clam Daf merce trac 34 CM E si merce no'm pot far M dar gariço Oa E pois merces no'm pot a vol dar garison U E pois merce f E si merce Uf mi pot dar f far gariso IV Car sens merces non aten guerredon - 35 ADIKL clam M Per Dieu vos prec C prec ab merce DL q'ab merce IKU c'ab merces vença'l non f c'ab merce venqua'l nom W cri merces ou merces venghe ou non - - 36 O serai recrezen 2>7 W Ainz preerei merces tant angoissoz 38 IKPS prendatz a Tro qe merces tenga mos bratz ambdos W Que per merces tendrai 39 PS Dinz las vostras U Dinz los vostres 40 / Car M E non val mens U E non n'es mens f mielh de tan car a Car non er menz de CIKOPS del certan ]\T Qu'el mont non sab tan.

41 DIK A vos a Eu vos ai dat 42 CMPSi' Lo cors e'1 cor W Mon cors e'1 cor ABDPSWa don vos faitz 43 CM vostres - - 44 CMWa espers PSi'f esper D jauzens PS gai e jausen.

7"

Qu'ab bon senhor nos pert bos gazardos, Qu'en l)i mas cortz ai vist manhtas sazos Paubr' enriquir per bon afortimen,

Ter qu'en en vos afortisc mon coratge. 48

\'1I Garin, ben sai chauzir, fe que dei vos, En la gensor; e tul vai dir, chansos, A la melhor e a la plus valen, Ou'autra del mon non am de bon coratge. 52

VIII Chanzoneta, vai t'en tost en corren

A ma domna e portail mon messatge,

45 CMWaf Qu'en IK Que bon L Q'en bos seignors D nos pert hom guierdos AB pois pert ries U no's perd ries IK pert nuls /[' non pert nus PS Q'a . . . no faill bon a non perd om 46 /»' Q'en bona cort L Q'en bona cortz CMUWaf Qui ben Uf gen li sierf qu'ieu \ ei PS Car qi ben serf ai vist 47 PSW attendimen Ua entendimen f per lonc amendemen 48 PSUf vas \'os ]]' Per oc effors envers vos a en voil ben afortir.

Comme se />tic me couplet, C seul donne la strophe suivante;

Belhs-Deziriers, s'anc parliei folhamen,

Penedensa trob om ab ver perdo,

E, s'anc res fis qu'a vos no saupes bo,

Eras m'en ren al vostre chauzimen;

Aissi me met en la vostra preizo,

E, si me faitz jutgar segon razo,

Ja no'm tenretz mais en tan grau turmen,

Xi m'auciretz en vostre preizonatge.

49 52 D Gari, be saub . . . gensor et en la plus valen . . . corage.

49 AB que vos dei L' Gram ben ai chausit 50 .-//>' e vai li dir L e tu vai dir L ' Lo meillior del niond e tu vai t'en 51 U Vas la bella qui ten mon cor jauzen 52 (' Q'en mon poder non ai meillior mesatge.

53 a supprime vai... corren 54 C porta li'm PS por-

tai mon.

77

E digas H que de paubre manen

Serai totz temps el seu rie senhoratge. 56

I. Pour la première fois je vous supplie d'amour, dame, en l'honneur de qui je chante et commence mainte- nant ma chanson; prêtez l'oreille, s'il vous plaît, à mon propos, autrement je n'ose pas vous découvrir mon amour, car il m'arrive ainsi quand je vous vois. La langue me fait défaut et mon coeur est pris de crainte, car qui ne craint pas, n'aime pas de coeur sincère; c'est pourquoi j'aime que vous soyez mon maître.

II. En vous aimant j'ai fait un si bon choix que, de par Dieu, j'aime mille fois mieux vous servir sans ré- compense que de servir toute autre, qui m'accorderait tout ce que je voudrais; car mon cœur est attiré vers vous avec tant de joie qu'il n'a plus été dans mon pouvoir depuis que je vous vis. Tant votre belle personne m'inspire de l'amour que je reste ici-même dans votre suite.

III. Et pourtant je sais bien que je fais grande hardiesse en sollicitant votre amour ou en vous faisant deviner mon sentiment, mais je ne peux plus rester dans l'attente, et je sais et je crois que je m'efforce en vain. La beauté vous rend si fière et vous donne un mérite qui vous place au-dessus des meilleures, ce qui me remplit d'ennui, et d'épouvante; tant j'ai peur que vous ne me teniez pour fou.

IV. Mais si je fais folie, je le fais sciemment et sachez pourquoi: c'est que cela me plaît et que cela me semble bon, et je vous en dirai mon idée. En espérant fermement, l'homme atteint le salut; donc, si vous me faites du bien, j'en serai bien heureux, et si vous me faites du mal, je le supporterai plein de chagrin. J'accepterai le bien comme le mal, et ainsi je me consolerai comme le sauvage.

V. Ma bonne dame, pour ma défense j'ai recours à votre merci et, si Merci ne m'aide pas auprès de vous, je vous prie de grâce que Merci puisse une fois l'emporter sur votre non; et vous ne me verrez jamais m'en lasser, mais je continuerai à invoquer Merci en secret jusqu'à ce

55 C paupre e manen PS paubres jauzimen a omet li 56 C M'aura PS Sera . . . poderage.

78

iiur par merci VOUS teniez mes deux mains dans les \ntrcs; et ainsi vous ferez preuve de la clémence que mérite l'hom- mage parfait.

VI. Car je me suis donne à vous, corps et âme, de bonne foi et loyalement, moi que vous tenez dans votre possession, et cela me plaît beaucoup, puisque je sais que je suis votre vassal, et un bon espoir nourrit la joie que vous m'inspirez; une bonne récompense ne manque pas chez un bon seigneur, car aux nobles cours j'ai vu mainte fois le pauvre s'enrichir par un bon effort; c'est pourquoi je sens se raffermir mon affection pour vous.

VII. Garin, par la foi que je vous dois, j'ai bien su choisir la plus gracieuse; et toi, chanson, va lui dire, à la meilleure et à la plus généreuse, qu'au monde je n'aime qu'elle de coeur loyal.

VIII. Chanson, va-t-en aussitôt en courant à ma dame et porte-lui mon message; dis-lui que de pauvre que j'étais je serai toujours riche à son noble service.

V. PER QUAL FORFAIT O PER OUAL FALHIMEN

Mss.: A (367), B (135), C (fol. 151a), D (396), / (fol. 82 d), K (fol. 66 c), L (fol. 118 v.), J/(fol. 188 a), O (24), R (273), S (128), 7* (fol. 213 r.), a (267), 7(94). Attribué à Gui d'Uisel dans M. Le premier couplet im- primé, d'après C, par Raynouard, V, p. 380.

Ordre des strophes:

1234567S CLa

123456 ABDIK MRS T

123(4) O (27 vers).

12346 /.

Les mss. se répartissent en deux groupes distincts, d'une part ABDIK, d'autre part CLMORSTaf. Cette première distinction ressort du vers 45, le copiste de l'original commun de ce dernier groupe a changer le texte qu'il copiait. ABDIK offrent des fautes communes aux vers 6, 12 (bel pour mal), 19 et 27. Dans ce groupe, AJB vont

79

ensemble contre les autres aux vers 12 (miratz), 14, 39; DIK de même au vers 22, également ^, en omettant que, est incorrect. B et D présentent des leçons indépen- dantes au vers 19 (B) et aux vers 11 et 30 (D). IK, enfin, ont des fautes communes aux vers 26 et 35.

Dans l'autre groupe, CM, à en juger par le vers 7, occupent une place à part. Que C soit indépendant des autres, c'est ce qui ressort également des vers 24 et 19 20, l'ordre inverti de C n'est reproduit par aucune autre rédaction. Des autres 7 rédactions, LOSa, dont la filiation est pourtant impossible à établir avec certitude, forment un groupe très bien accentué, cf. les vers 9, 16, 31, 44 et 48. A en juger par les vers 31 et 48, f, qui aux vers 16 et 44 présente toujours les leçons de l'original, se rattache à ce groupe, tandis que R et T sont indépendants. Tout considéré, j'ai donc cru devoir grouper ainsi les 14 mss.:

A B

rh Hn

I Per quai forfait o per quai falhimen Qu'eu anc fezes encontra vos, Amors, Mi destrenhetz nim tenetz enveios Per la bêla que mos precs non enten? Trop demostratz en mi vostre poder, E qui vencut vens moût fai pauc d'esfors. Si vensiatz leis que nous tem nius blan, Adoncs sai eu que'i agratz honor gran.

1 MRf ni 3 CLMfO e'm T pensos /faitz tant enveios 4 L prec / De la 5 R vas me / De trop . . . ves -- 6 AIK

no i non fai nuil D non fai nuill gran B no i fai yran A' fay petit d'esfors a ventz fai pauc 7 LORSa venqessetz Zventzetz / venses ... ni no'us 8 A' Aysi f C'adonx die ieu a n'agratz.

8o

Il Hein cujava laissar ad escien

Que non chantes mas de vostras lauzors

Ni que jamais nom réclames per vos,

Car m'eratz tan de mal aculhimen; 12

Mas aissom toi, domna,l sen cl sabcr

( »u a tota gen ang dire ad esfors

Quei vostre pretz vai lo melhor sobran,

E lauzengiers nous en pot tener dan. 16

III E car sabetz, domna, certanamen

One d'autr'amor nom ven gaugz ni paors,

Perpensatz vos si'us pot esser nuls pros

Si'm faitz morir ad aitan greu turmen. 20

Ben conoissetz, si nonc'o faitz parer,

QuH seu destrui que no fai grant esfors.

Vostres sui eu aissi ses tôt engan,

Que seu ren pert, vos penretz tôt lo dan. 24

9 LOSa Ben f Ja'm / cuiava'l .S" cuide eu /' gardar ad 10 (' E qe ST Q'eu M de vos mos chansos T vostra lausor 0 vostra lauzors f plus de 11 T giamais mi reclames a non reclames D de vos 12 AB miratz . . . bel a. DIK tan de bel .13 ABD aissi L E aicho T e"l sen 14 AB estors L Qar tota O Q'a tota genz Rf C'a totas gens 15 ACRf los melhors .s' la meillor T las meglior 16 C lauzengier LOa Que mal parliers 5 Que mal parler / Que lauzengiers ?" E la gensor non vo'n pot.

18 CLR Tj gaug M ven gang pensatz vos DLa d'autr' amors L ne prors T ni pros A' no ven 5 Qar mi non es ieu gaus mas paors - 19 20 C donne ces deux vers en ordre inverse; 19 21 manquent dans T; 19 ABDIKS honors B Pensatz vos doncs LO/ nul pros .1/ Si'us pot esser nuls enanz ni nulls pros R er honor ni pros 20 MOSf ab aitan A' Que mi lieuretz ad 21 C si tôt no /. si tôt no*l R si tôt no'us .S' segon q'o fai / Ni nonqua'us faitz 22 Aa Qi'l sieus R Qui'ls seus .7 destrui non fai DIK destrui non i fai '/"destrui moût fai pauc d'esfors -23 BDIKLMORSTaJ Vostre 24 CS E s'ieu L vos n'hauretz tôt/ MOSTqfprendeh R vostre er.

Si

IV Car eu vos am tan desegadamen

Com peitz me fai la pena e la dolors:

Adoncs aflam en sui plus cobeitos

De vostr'amor e n'ai mais de talen, 28

E non temetz, domna, pechat aver;

Donc fetz anc mais nuls hom tan grant esfors

Com eu que ai ses mort suffert aitan

Lo mal respos e l'orgolhos semblan. 32

V La grans beutatz que sobr'autras perpren E la vostra fina fresca colors E-l gens parlars eilh bel olh amoros Me fan estar, domna, en marrimen, 36

Car eu non sai si' m volretz retener; Enaisso es, sim métrai en esfors, Oc s'a vos platz, tôt al vostre coman, Mas tant o volh, per qu'eu i vau doptan. 40

VI Ouan mi membra que sol n'ai pensamen Que ja-m pogues venir tan grans honors,

25 T Car vos M E quar D tôt A' descauzidamen 26 1K pena la dolors M Con pieg S Com peig R mi faytz yeu suy pus envios a mi faitz la 27 L E donc ABDIKT enveios R E pus n'aflam e'n suy pus voluntos MO Ta e son S n'afîam & soi - 28 A' De vos amar 29 C T pechatz 30 M Fes donc . . . nulls homs A' Doncx fey D nuill T Adonc . . . anc nuls f Donx nulha res fes a no mai 31 I qar liai . . . mortz S car . . . suffert lo dan f car ai sufert s. m. a car 32 ABDIK ni l'orgoillos R Lo brau respos.

Le cinquième couplet manque dans f. 23 MT La gran beutat ILS La gran beutatz S sobre vos part pren 34 MRS fresca fina T frescha e fina a color 35 CRST Ei gen parlar CLS e"ls belhs huelhs IK e'1 bel oillz RT bels uoill 37 R Car ges no say 38 *S" Et zo me'n ten entro gran en esforz 39 AB Que s'a R E s'a S Hoc se'os volez 40 LRS o vaic doptan T o voyll c'ieu i vauc duptan.

41 M sols 42 À" tans ST gran 6 22148.

8 a

Ai tan gran gaug quen folei a sazos,

( hic i gaug/. qu'eu n'ai nie camja tôt mon sen - 44

Doncs quen diratz sin sabiatz lo ver?

Si1 m metria de gaug en grant esfors,

( ai ai tal gaug quan sol o vau pensan

Qu'anc a mos jorns non conquis de joi tan. 48

VII Garin, que faitz car non l'anatz vezer? Que re non sap a queis met' en esfors Qui non la ve o no lestai denan,

Tant avinen sap far son benestan. 52

VIII Chansos, vai t'en e digas li denan

Que, s'a leis platz, t'aprenda e quet chan.

I. Pour quel forfait ou pour quelle offense que j'aie jamais commis contre vous, Amour, me tourmentez- vous, entretenant chez moi mon désir pour la belle qui n'écoute pas mes prières? Vous prouvez à l'excès sur moi votre pouvoir, car en vainquant le vaincu on ne fait pas un très grand exploit. Si vous pouviez vaincre celle qui ne vous craint pas et ne fait aucun cas de vous, alors je reconnais que vous auriez grand honneur.

II. J'avais la ferme intention de ne plus chanter votre louange et de ne jamais me plaindre à cause de vous, car vous m'avez toujours fait un si mauvais accueil; mais, belle dame, cela me prend le sens et le savoir d'entendre dire à tout le monde avec force que votre mérite surpasse

43 MS qu'ieu T ce folei 44 CLRSTf gaug A q'ieu ai A' que'n ay LSa lo sen 45 A Q'en diratz doncs CMRSTaf que*m dizetz si'n sabia L que'n disesz s'ieu'n sabia I Doncs q'en dretz siu sabiatz À' Doncs q'en dretz fai sabiatz 46 A q'en gran .V de gauz en esforz - - 47 Z> Qu'eu L Que sol en vau Sqf en (ne) vau R Qu'eras n'ay gaug car 48 L Q'anc nul zoios n'ac onques af Cane mos joios S Qe mais Ysoit non conqis de Tristan.

49 L que no'l 52 & 53 manquait dans L 54 L qer aprenga en chan a t'aprenda e chan.

83

celui des meilleures; les médisants ne peuvent pas y porter atteinte.

III. Et puisque vous avez, dame, la certitude que ni joie ni peur ne me viennent d'un autre amour, réfléchis- sez bien si vous avez aucun avantage à me faire mourir dans de si cruels tourments. Vous savez bien, quand même vous ne le montrez jamais, que celui qui détruit son bien ne fait pas merveille. Tant je suis à vous sans perfidie que si je perds quelque chose, le dommage sera tout à vous.

IV. Car je vous aime d'autant plus excessivement que la peine et la douleur empirent mon état. C'est alors que je m'enflamme et que je convoite et désire le plus votre amour, et vous, vous n'hésitez pas à me faire éprouver des torts; je vous assure qu'aucun homme n'a jamais fait tant d'efforts que moi, qui ai si longtemps supporté, sans pouvoir mourir, votre mauvais accueil et votre mine orgueil- leuse.

V. Votre grande beauté qui brille sur toutes les autres, votre belle couleur fraîche, votre gentil parler et vos beaux yeux amoureux me font demeurer, dame, en afflic- tion, car je ne safs si vous voulez me garder; oui, c'est ainsi, et, si cela vous plaît, tous mes efforts seront pour agir selon vos ordres; mais je suis pris de crainte parce que je le désire tant.

VI. A la seule pensée que ce grand honneur pourrait être le mien, j'éprouve une telle joie que parfois je fais des folies, tant la joie que j'en ai me tourne l'esprit. Qu'en diriez-vous si vous en saviez la vérité! Le bonheur me ferait faire de grands efforts; rien qu'à y penser, ma joie est telle que de ma vie je n'en ai pas senti autant.

VII. Garin, que faites-vous puisque vous n'allez pas la voir, car celui-là ne sait à quoi s'efforcer qui ne la voit pas et ne se trouve pas en sa présence; avec tant de grâce elle sait faire ce qui lui sied bien.

VIII. Chanson, va-t'en et dis-lui qu'il t'apprenne et qu'il te chante, si celle que j'aime y consent.

VI. - - S'EU FOS ENCOLPATZ

Ms.: C (fol. 153 c). Imprimé d'après ce ms. par Appel, Prov. Inedita, p. 289 et suiv.

84

I S eu fos encolpatz

Vas amor de re, Molt estera be Qu'eu fos malmenât/., Mas on melhs fauc los comans 5

Pert los datz al premier lans; On plus vos sui aclis et amoros,

Domna, mor ses ocaizos! E mas ab vos no pose merce trobar,

No sai on la- m an cercar. 10

II Ben conosc assatz

Que ges nous cove, Per qu'ab bona fe Vos m'era donatz, Qu'anc melhs senes totz engans 15

Non amet negus amans. Mas pauc mi val mos esfors contra vos,

Per qu'eu n'estauc rancuros, Qu'ab gen servir et ab merce clamar

Vos cujei apoderar. 20

III Mas vei que nous platz

Qu'eu vos clam merce; Pus a far m ave, Part m'en totz forsatz, Qu'anc tan perilhos afans 25

No fo ni dolors ta grans Com merceiar longamen en perdos;

E si nom faillis razos, Ja nom pogra tan m'es greu a durar

Domna, de vos dessebrar. 30

<; ms. nierccs 2<j ///s. no.

§5

IV Totz acosselhatz

Me sui d'una re, E pliu vos ma fe, Que melhs m'en crezatz, Qu'ai plus qu'eu poirai abans 35

Totz los vostres bos enans; E mas tant es vostre cors orgolhos Que mos preiars nous es bos, Remanh ab tan, que no- us en pose forsar,

Ni nous volh far azirar. 40

V Mas molt sui iratz

Et ai dreit per que, Car eu am tan be E no sui amatz, Mas moltas vetz val soans Mais que tais se fai prezans. Remasutz sui sols e de tôt joi blos,

Et m'es greu pels enoios Quem auran gaug, e poira avenhar Que1! douz lur torn' en amar.

45

5o

VI D'uns mal essenhatz

Parliers senes fe Ai gran guerr' ab me; Mas ab vos solatz N'ai, cui fan plus bels semblans. Mas molt es paucs lo meus dans Vas lo vostre, tan séria angoissos.

Mas tant etz cortez' e pros, Per queus sabetz, domna, de lor celar,

E bos pretz fai vos gardar. ,

55

48 dis. es mi greu 54 tns. Mas solatz n'ay ab vos 60 fai domna.

86

VII A'n Gari man qu'eu aus oi mais chantar Ou'ab mi eis m'ave estar.

I. Si j'avais péché en quoi que ce soit contre l'amour, il serait juste que je fusse tourmenté, mais je suis de mon mieux ses commandements, et pourtant je perds les des au premier jet; j'ai beau VOUS être dévoué et vous aimer, dame, je meurs sans cause, et puisque je ne peux trouver grâce à vos yeux, je ne sais aller chercher la pitié.

II. Je sais bien que cela ne vous convient point; aussi m'étais-je donné à vous en bonne foi, car jamais nul amant n'aima plus tendrement et sans toute perfidie; mais peu me vaut mon effort auprès de vous, c'est pourquoi j'ai de la rancune, car j'ai cru pouvoir vous fléchir en vous servant bien et en implorant votre merci.

III. Mais je vois qu'il ne vous plaît pas que je vous demande grâce; puisqu'il le faut, je m'en vais à contre- cœur, car jamais il n'y eut une misère si dure ni une douleur si grande que de supplier longtemps en vain, et si je ne perdais pas la raison, jamais je ne pourrais, dame, tant il m'est pénible de l'endurer me séparer de vous.

IV. J'ai bien pris mon parti quant à une chose, et je vous engage ma foi, pour que vous m'en croyiez mieux, qu'à l'avenir, je proclamerai vos bonnes qualités autant que je le pourrai; mais si votre cœur est si orgueilleux que mes prières ne vous soient pas agréables, alors je m'arrête, car je ne peux pas vous contraindre et je ne veux pas vous contrarier.

V. Mais je suis bien triste et avec raison, car j'aime tant et je ne suis pas aimé; seulement bien des fois le méprisé vaut plus que celui qui se donne un air d'impor- tance. Je suis resté seul* et exempt de toute joie, et cela m'est pénible à cause des envieux qui s'en réjouiront; mais il pourrait arriver que le doux leur tourne en amer.

VI. A cause de quelques bavards mal instruits et perfides j'ai grande guerre avec moi, mais quand je suis avec vous à qui ils font plus belle mine, ils ne me font éprouver que de la joie. Mon dommage est cependant peu de chose auprès du votre, quelle que soit mon affliction. Mais

87

vous avez tant de courtoisie et de mérite que vous savez, dame, les éviter, et la bonne estime est votre protection. VII. Je fais savoir au seigneur Garin que j'ose chanter désormais, car il m'arrive de rester seul.

VII. - - AMORS, NOM POSC PARTIR NI DESSEBRAR

Mss.: A (372), C (fol. 241 a), D (400), / (fol. 836), K (fol. 67 a), M (fol. 190 b), R (fol. 93 b), T (fol. 214 r). Attribué à Gui d'Uisel dans M et à Perdigo dans C et R.

Ordre des strophes:

123456 C 12345(6) ADIKMT

12453 R

A est une rédaction indépendante, ce qui ressort des vers 9 et 29, ce ms. seul garde la bonne leçon. L'autre série se subdivise en deux groupes: d'une part DIK qui vont ensemble aux vers 2, 9, 14, 27, 30; d'autre part CMRT qui portent m'aura mort au vers 36 et qui présen- tent des leçons mauvaises au vers 32. De ces quatre mss., R s'écarte plusieurs fois des autres, ainsi aux vers 22 et 38; je lui donne donc une place à part. Des trois autres, C et M sont dans un étroit rapport; au vers 1, ils ont seuls substitué à la leçon originale une autre leçon correcte. Une leçon particulière au groupe CMRT a être en pane d'ara au vers 36; je suppose que le copiste de C en a pris la bonne leçon à un des mss. DIK.

Malgré certains croisements, la filiation des mss. doit être approximativement celle-ci:

O

d ik r~^

! n T R

C M

s s

1 Amors, nom pose partir ni dessebrar, Pero ben sai que'l partirs me demora; El eu imn pose senes amor estar Et ai agut aital fat tota ora. 4

Amoros sui et amoros serai E conosc ben qne per amor morrai, E ges per tan d'amor nom pose partir, Si ben conosc mon viure e mon morir. 8

II Tais estarai corn Nicola de Bar,

Que, si visques lonc temps, savis hom fora,

Qu'estet lonc temps mest los peissos en mar

E sabia quei morria qnalqu'ora; 12

E ges per tan non vole venir en sai,

E si o fetz, tost tornet morir lai,

En la gran mar don pois non poc issir

Enans i près la mort senes mentir. 16

III Et eu senti la mort apropiar

S'ela no*m val vas cui mos cors adora, Cui eu am tan que d'als non pose pensar;

i IK départir ni sebrar D partir ni sebrar CM D'amor . . . départir ni sebrar T D'amors . . . départir ni sebrar R D'amors - 2 DIK Per so CI KM partir - - 3 CKT nom R Mas yeu no 4 M fatz T art totas ora 5 CM Qu'amoros R C'amoros / Amors . . . amors 6 R amors 7 A non T per tal d'amor non 8 AT be'm.

9 CMR Aital astray DIK Aital R Nicolan T Aital istarau . . . Nicolo 10 M Qi CRT loncx D loncs savis R suivais T savi 11 IK Qu'este A gran temps R XII. ans DT loncs M mest peissos en la mar R peisos de mar T lo peison 12 M qel morria R que morirai T qe moria 14 DIK fe 15 IK puosc D puoe M puec 16 C Enars rs sur grattage près la T Enans lai près R Car lains.

17 M E & . . . si apropehar R Ieu sent ma mort en mon cor aprusmar; T ma mort / apropriar 18 C Si lit-ys R &l lieis / no me vas MT mon cor 19 R Que yeu l'am

89

E ja socors no cre que- m fass' abora, 20

Car negun bel semblan d'amor nom fai,

E si'm promes anc re, ar m'o estrai,

Per qu'eu conosc que sui près del fenir,

Mas eu non pose que cujav'al fugir 24

IV Com hom e mar quan se sent perilhar

Que dins son cor sospir' e dels olhs plora

E contrai vent non pot nul genh trobar,

Ni no-l ten pro si bes geta l'ancora; 28

Ni nuls conortz no-il pot atraire jai,

Ans prega Deu quel get d'aquel esmai,

Que-1 grans tempiers fara la nau ferir,

Dont a paor de si mezeis périr. 32

V Domna, merce-us volh, sius platz, merceiar, Qu'autre conort non cre que n'ai' aora; S'en breu ab vos non pose merce trobar, L'amors qu'eus ai m'aucira en breu dora, 36

20 R Que ja'l secors T Ni gia K gen AI qe fass'abora - 21 R nonz fai T nengus bels seblans 22 AR E si anc re'm D E si'n promes anc ren T E se'm promes res anc ara m'ostrai

23 CDIK Per que R Per so . . . mûrir 24 A puosc en nuilla part C puesc m'aventura IK eu non que cuiava val D Mas eu non que cuian fugir R & . . . cuiava fugir.

25 R E ieu conz sel que's sent perpilhar 26 R Planh e son cor e d'amdos sos M dels hueilh 27 DIK Encontra'l T pot nuls om 28 R si bel reten 29 CDIKM Ni nulh conort no'l [DIK no'ill pot atrair'en lai T E n. c. no'l pot trair'e lai R Ni nulh cosselh non pot trobar huey mai 30 IK del que esmai D de quel esmai R Mais . . . esglai T que'l tras . . . marcai 31 IK gran tempier M gran templier T gran tempes fai A partir DIK périr R E'1 mal temps vai sus en la naus 32 CMT & a R Per tal poder que tôt o fai périr D morir.

23 C Dompn'ab merce'us vuelh tostems merceyar DR merce

34 D q'eu / que aia M non eug R C'autre cosselh non conosc bon 35 C no'm A' merce non puesc T merces 36 CMRT L'amor . . . m'aura mort MRT en pauc d'ora

go

Car de bon sen e de fin cor verai

Vos am, domna, trop melhs que dir nous sai,

Que"! cor el sen cl saber el albir

Ai tôt en vos si que dais non cossir. 40

VI Domna, s'eu mor per vostr'amor, béni plai, Mas ja non cug vezer mon senhor gai, Lo pro marques, que fai son pretz grazir E gent honrar e totz bes far e dir. 44

I. Amour, je ne puis, ni partir ni m'éloigner; pour- tant je sais bien que le départ m'attend; je ne peux vivre sans amour, et toujours j'ai eu le même sort. Je suis amoureux et je resterai amoureux, et je sais bien que je mourrai par amour, et pourtant je ne peux point renoncer à l'amour, quand même je sache quelle sera ma vie, quelle sera ma mort.

II. Je serai comme Nicolas de Bari, qui aurait été un homme sage, s'il avait vécu longtemps; il resta long- temps parmi les poissons de la mer, sachant qu'il y mour- rait à n'importe quel moment, et pourtant il ne voulait pas s'en venir à terre; s'il le fit une fois, ce fut pour retourner aussitôt y mourir, là, dans la grande mer d'où il ne put plus sortir; il y accepta la mort sans défaillir.

III. Moi aussi, je sens la mort s'approcher, si celle que mon cœur adore et que j'aime tant que je ne puis penser à autre chose, ne m'est pas favorable. Je ne crois pas qu'elle me porte secours à temps, car elle ne me fait aucun beau semblant d'amour, et si jamais elle m'a promis quelque chose, elle m'en prive maintenant; aussi suis-je

37 T de bon e de fin 38 C T am trop mielhs, dona M trop mai, donna DIKMRT non sai 40 .-/ tant en vos que d'aire nous.

E envoi manque dans R; IKMT n'en donnent que les deux premiers vers; A se termine après Mas ja, /> après non du vers 42; ce n'est donc que (tans C que la tomada est coin filète. 41 .1/ be'm vai 42 I K guezer T Me platz pro mais qe per autra giausir.

9i

bien conscient que je suis près de mourir, et je ne peux pas fuir comme je me l'imaginais.

IV. Je suis comme un homme qui se sent en péril sur mer; il soupire dans son cœur et pleure des yeux, mais il ne peut rien faire contre le vent; cela ne lui sert à rien de jeter l'ancre, et nul espoir ne peut le faire sortir de peine, mais il prie Dieu de le sauver de ce trouble; car la grande tempête va frapper le vaisseau, ce qui lui fait craindre de périr lui-même.

V. Dame, avec votre permission je veux vous de- mander grâce, car je n'espère plus maintenant d'autre consolation, si sous peu je ne puis obtenir votre grâce. L'amour que j'ai pour vous, me tuera en peu de temps, car je vous aime, dame, de cœur et d'esprit sincères, et beaucoup mieux que je ne saurais vous le dire, car tout vous appartient, mon cœur, mon intelligence, mon savoir et mon jugement, de sorte que je ne pense pas à autre chose.

VI. Dame, si je meurs de mon amour pour vous, cela me plaît bien, mais alors je ne verrai plus jamais mon brave seigneur, le preux marquis, qui se fait aimer et bien honorer par son mérite et qui encourage tout ce qu'on fait et tout ce qu'on dit de bien.

VIII. RAIMON JORDAN, DE VOS EIS VOLH APRENDRE

Mss.: C (fol. 153). Le premier couplet se trouve aussi dans ABIK, inséré dans la biographie du troubadour. Imprimé d'après C par Appel, Prov. Inedita, p. 287 et suiv; le premier couplet imprimé aussi par Raynouard, V, P- 378.

I Raimon Jordan, de vos eis volh aprendre Qu-us etz laissatz de solatz ni de chan; Ja'us soliatz en domneiar entendre Moût leialrnen, so faziatz semblan; Eus fenhiatz eus en faziatz gais,

2 C Qou'us 4 C Tan lonjamen so 5 C Vo'n

98

Mas aras vei qu'avetz fenit 1<> lais, Encolpatz n'etz, si non es quei responda.

II Amors, oi mais dei be ab vos contendre, Mas vos eissa m'escometetz d'aitan, E cug vos be d'aisso tal razon rendre 10

Que ja nous er honors ni benestan; Qu'en vos servir mezi totz mos essais, Vos menetz me corn fai cel quel seu trais, On eu péri si com la naus en l'onda.

III Iratz paretz, Raimon, al meu reprendre, 15

Mas non es vers, que queus anetz gaban, qu'anc us dels melhs fos traïtz per atendre; Be tenh per meus cels que fan mon coman, E non son meu cilh en cui engans nais,

20

Ans m'es tan greu que no sai on m'es[con]da.

IV Amors d'aiss .... poiretz d . . . ni morir .... vostres .... quous .... engan . . . retz ja'n .... qui'ls si ... . coita de ... .

V Apar e[n vos que volhatz es]coissend[re],

Raimon Jorda, de tôt fait benestan, 30

Qu'eus en feira lo cor enquer essendre

D'un douz désir queus donera aman,

Que- us en feira tal esmenda ab un bais

Que feniratz totz aquestz tortz e mais,

Don tostemps fos la boca jauzionda. 35

6 C que fenitz es 7 BIK, Appel,- A non er C si no'us sabetz défendre.

15 Appel ; )ns. respondre 17 ms. un 20 manque dans >n$. IV, V les lacunes sont dues à l'ablation dune miniature.

93

VI Veiatz, Amors, si poiretz far dissendre En vos merce, ans quem prometatz tan, Que mos afars en séria trop mendre, Sim teniatz el désir de l'autr'an.

Encor m'ave qu'a vos forsar me lais, 40

Mas garatz von que no von segua plais, Don estes trop la boca desironda.

VII Raimon Jorda, ges aissi d'un eslais Non pot esser acabatz tan grans fais,

Enaissi leu com ses voûta Inonda. 45

I. Raimon Jordan, de vous-même je veux apprendre que vous avez renoncé aux plaisirs et au chant; autrefois vous vous êtes plu à faire la cour d'une manière parfaite, du moins vous en faisiez semblant en dissimulant vos senti- ments et en feignant d'être heureux; mais maintenant je vois que vous avez fini votre chanson; vous en êtes inculpé s'il n'y a personne qui y réponde.

II. Amour, désormais je dois bien me disputer avec vous, puisque vous-même me défiez tellement; je crois vraiment pouvoir vous prouver que cela ne vous sera hono- rable ni bienséant: car j'ai fait tout mon possible pour vous servir, et vous me traitez comme le fait celui qui a trahi le sien; j'en péris comme le vaisseau dans les flots.

III. Vous paraissez contrarié, Raimon, de mon re- proche, mais il n'est pas vrai, malgré toutes vos moqueries, que jamais un des bons amants fût trahi pour avoir attendu. Je regarde comme les miens ceux qui font mes comman- dements, et ceux chez qui apparaît la perfidie, ne sont pas

les miens mais cela m'est si pénible que je ne sais

me cacher.

IV.

V. Vous paraissez vouloir contester tout agrément,

Raimon Jordan, et pourtant je pourrais encore vous allumer le cœur d'un doux désir inspiré par une amante, qui avec un baiser vous donnerait une telle compensation, que tous

44 ///s. gran.

04

(.•s torts et d'autres encore n'existeraient plus, ce dont votre bouche se réjouirait toujours.

VI. Faites voir, Amour, que vous pourrez faire de- scendre en vous la grâce avant de me promettre tant, car nus affaires iraient trop mal, si vous me teniez a mon an- cien amour. Il convient maintenant que je cesse de vous défier, mais prenez garde qu'il ne s'ensuive pour vous une dispute dont votre bouche paraît trop désireuse.

VII. - Raimon Jordan, une si grande chose ne peut être accomplie ainsi, d'un seul élan, aussi facilement que l'hirondelle tourne dans l'air.

IX. VAS VOS SOPLEI EN CUI AI MES M'ENTENSA

Mss.: A (370), B (137), C (fol. 152 a, MG 787), D (401), E (p. 135), /(fol. 83 d), K (fol. 66 b), J/(iqi), A' (272), T (fol. 215 v.). Attribué à Guiraut Calanson dans E, à Gui d'Uisel dans M.

Ordre des strophes:

1234567 c

543(2) £

1 [2: 1 4 + 4:5— 9] 3 [4: 1 6 + 6:7— 9] 57 A

1 [2: 1—4 + 4: 5—9] 35 B

1 [2: 1—4 + 4: 5— 9] 3 [4: 1—6 + 6: 7—9] 5 6: 1—4 7 IK

1 [2: 1—4 + 4: 5— 9] 3 [4: 1—6 + 6: 7— 9] 5 6: 1—4 D

1 [2: 1—4 + 4: 5— 9)3 [4: 1—6 + 6: 7—9] 5 6: 1—4 M 1253 [4: 1—6 + 6: 7 9] T

1 [2: 1—4 + 4: 5—9] [6: 1—4 + 5: 5—9] 3

[4:1—4+2:5 9] R

L'ordre des strophes est certainement correct dans CABDIKM. Comme il ressort de notre tableau, un grand désordre règne dans les couplets II, IV et VI, dont les cinq derniers vers ont été sujets à des transpositions. Je me suis décidé à regarder comme correct C, le seul ms. complet dans toutes les strophes, supposition confirmée par le fait que les vers 35 36 ou 53 -54, qui, partout ail- leurs, excepté dans E, figurent dans le deuxième couplet, n'y sont pas en place; c'est que, dans ces vers, l'auteur

95

parle de la dame à la troisième personne, tandis que cette nouvelle forme du poème ne doit commencer qu'à partir de la quatrième strophe.

En prenant ce point de départ, j'ai donc à débrouiller la série de transformations par laquelle est passé notre poème pour revêtir les différentes formes qu'il offre dans ABDEIK MRT. Étudions d'abord les leçons des mss. C, qui est en opposition à toutes les autres rédactions aux vers 6, 30, 33> 3S> 48, 54 et 56 il doit seul garder la bonne leçon se rattache, à en juger par les vers 24 et 29, à £ et à J?, qui vont souvent ensemble, ainsi aux vers 1 2 , 22, 27 et 30. ABDIKM forment en groupe particulier, ce qui ressort du vers 40, comportant plusieurs variations, il est vrai, mais dont les variantes partent certainement d'un seul et même texte. Exceptionnellement, D ne va pas avec IK, mais plutôt avec AB, témoin les vers 6 et 26, et il occupe dans ce petit groupe une place à part; c'est ce qui ressort des vers 29, t,^, 52 et 53, comparés aux vers 3, 7, 23, 26 et 40, AB s'écartent ensemble des autres rédactions. L'indépendance de A est assurée par les vers 9 et 45, ainsi que par l'état mutilé de B. IKM présentent une faute commune au vers 6, d'où il faut conclure que ces rédactions remontent à la même source. Elles en dérivent séparément, IK présentant plusieurs leçons particulières, p. ex. aux vers 26, 37 et 54, et M allant pour lui seul à ce dernier vers, il répète un vers anté- rieur du poème, ainsi qu'aux vers 40 et 44. Ajoutons que T ne présente de ressemblances notables avec aucune des autres rédactions, et nous arrivons à cette filiation des mss.:

O

E

I

T AI IK D A B

r?i

Cette conclusion jointe à l'ordre et aux variations que les couplets présentent dans les différentes rédactions, nous aide à suivre les transformations du poème. L'original a été d'abord transcrit par un copiste qui l'a laissé tel quel;

o6

il en est résulté d'une part c ', d'autre part Le texte toujours correct en ce qui concerne le contenu des couplets, qui est la source commune des deux autres mss. appartenant à ce groupe. Dans ce texte, quelqu'un a choisi V, IV, 111 et II, et en les attribuant à (mirant de Calanson, il les a introduits dans un ms., Jî, qui ne figure jamais parmi ceux contenant les poésies de Raimon-Jordan. R, qui a la même origine, doit sa forme à une décomposition des couplets II, IV et VI ainsi qu'à l'omission de la tornade et de deux demi-couplets, V i 4 et VI 5 g. L'original a été transcrit également par un deuxième copiste qui a le transformer profondément. Il garde intacts les couplets 1, II, III, V et Vil; arrivé à IV, il en remplace les trois derniers vers par ceux de VI, et voulant ensuite com- pléter VI par IV, il ajoute par mégarde les cinq derniers vers de ce dernier couplet aux quatre premiers de VI. Cette rédaction supposée aura donc eu la forme suivante: 123 [4: 1—6 + 6: 7—9] 5 [6: 1 4 + 4: 5—9] 7. De cette rédaction émanent d'une part T, dont le copiste laisse de côté VI et VII et change un peu l'ordre des autres, d'autre part la famille ABDIKM; dans l'original commun de ces rédactions, la dernière partie de VI est substituée aux cinq derniers vers de II; VI n'est pas complété. Je suppose donc une rédaction de cette forme: 1 (2: 1 4 + 4: 5 9] 3 [4: 1 6 + 6: 7 9] 5 6: 1 4 7. Elle est conservée telle quelle dans IK, tandis que les copistes de A, B, D et M en excluent des parties différentes.

I Vas vos soplei en cui ai mes m'entensa, Et anc mais res tan no-m poc abelir; Lai jonh mas mans per hom esdevenir, Qu'ensenha m'o mos sens e ma sciensa. Ilh et Amors e mos cors, quan ab se Mi guerreion, tuit trei son contra me,

1 CM vas cui A' ay m'entendensa 2 C Anc mais R Car anc T Cane mais - 3 AB endevenir 4 R Car mostra 5 /»' mon CM mon cor R mon car cor an cen 6 C tan tu;.; trey P guerrion IKM greujon T greson

97

Chascuns m'esfors' em vens, tant es sobriers

Lo poders qu'an, et eu sai voluntiers 8

Grazir l'afan que del joi me bistensa.

II Domna, per cui lo nions melhur' e gensa, Mon cor avetz, gen lom saubetz traïr. Ir' ai e joi e quan de vos cossir, 12

Tôt escien en pert ma conoissensa, E doncs per que vos pregara de re Cel que s'espert aqui eis, quan vos ver Neis quan cossir de vos tem lauzengiers. 16

Qui non parla de que er messorguiers? Domn', eu sui cel, jan vos port gran temensa.

III Bona domna, en fait et en parvensa

Vos am tan fort, s' eu vos o auses dir, 20

S'om per amor deu a merce venir,

Mercem degratz aver senes cossensa;

Qu'ab Amor venc, domna, et ab Merce,

Merce n'aiatz, que merces si cove, 24

Bona domna, quais non désir ni'us quier

7 AB forssa e vens tant C7"m'es sobriers 8 A Lo poder c'ai

M cant ieu T poders q'an ieu vos A Et yeu suefri ab cor si v.

- 9 A m'abistenssa A' Los grieus- afans si bel joys me bestensa.

10 MT lo mon 117" gient me'l sabetz 12 ER Ir'e joy ay tota vetz que"us remir T gioi can de vos malbir 13 ^ Tôt eyssamen 14 E preguarai R E doncx cossi la preyarai Apre- garai -- 15 A' can la ve T Cel c'espert can vos ve 16 E Ni quan R Neys cossiran tem de leys T C'ieu 17 A Si non.

19 A' Mas en mon cor li port gran bevolensa T port tan finamansa - - 20 A s'ie'us auzes descobrir 22 R T Merce degratz ER Merce m'ayatz ' E n'agratz senes tota falhensa 23 A Car . . vos vau & B Car . . vau A Pus ab amor vos prec 24 CE hi cove D merce A car merce y cove T ce merce se conve 25 D Qe d'al non es, domna, mos cossirers CM no'us dezir ni'us q. ABT non désir ni q. A Merce, dona, c'als no'us quier voluntier 7 22148.

98

Mas de merce, que m'a moût gran mestier Que ab Amor trobes Merces cossensa. -

IV Ja non creirai que pose' aver guirensa, 28 ( >nan serai mortz, qu'eu per leis non sospir,

Ni non cre ges que hom pogues sofrir

Lo ferm voler dont ai greu espavensa;

Doncs s'aissim mor quem val ni quai prom te, 32

Pois non o sap cilh per cui m'esdeve?

Diraii o no? Ara sui trop leugiers,

Eu ni autre no lin er messatgiers;

Esgardatz doncs corn n'aura sovinensa. 36

V Amors, ben faitz volpillag' e falhensa, Ouan mi que sui vencutz venetz ferir E laissatz leis cui non pot convertir

Eu ni merces ni vos ni conoissensa; 40

Mas si poesetz a leis far amar me,

Jamais no vos fadiaratz en re.

Non es tan greus ad obrar fregz aciers

26 AB Mas sol merce E Mas quan m. R Mas quer merce

.IBRD mont m'es grans mestiers IK grans mestiers T mestiers

- 27 CM merce E C'ab fin a. truep merce e conoisensa R

Qu'ieu ab amor truep merce que vos vensa T Ce ab merces venc,

dompna, deplaisentza.

29 D per vos CER de lieys non cossir A cossir 30 C qu'autr'om E Ni ja no crei ques puesca esdevenir R Ni no creyray ques puesqu' endevenir 31 A M gran A' El ferm voler que l'ay ab gran temensa E Al f. v. que n'aia ges temensa 2>2> C Si non D Puois no'l sabez vos 35 CE Q'ieu M non m'en er A' non er ja E non l'en cera

2,7 ABIK volpilla 39 CD que no'm pot 40 1 K Eu ni amors ni dreitz D Eu ni merces ni dr. AB En mi merces ni dr. .1/ Dieus ni merces ni dr. 41 T Mas c'aliors feset jjes amar me A' E s'om a leys pogues 42 C fadieratz IK fadieretz D faudiriez T non faliriatz en re R no si fadieron en re 43 A' Car pus leu es doblatz fer o assiers T Ce non es . . . fer fereitz asiers

99

Com lo seus cors durs tornar plazentiers 44

Es contrai meu, don trac greu penedensa.

VI Si saubes cilh don m'agr'ops mantenensa Tan coralmen me destrenhol cossir,

Ben leu fora qu'o denhera grazir, 48

Si'm tengues pro ma bêla captenensa.

Mon cor l'ai dit, a lei noquan sove,

Non ilh ni eu non l'ai donc per ma fe,

Ni l'aus querre plus quel penedenciers; 52

Mas ma chansos li sera latiniers,

A leis per cui fatz tan greu abstenensa.

VII De leis lauzar nom farai trop parliers, Qu'entendrion de cui sui cavaliers, 56 S'eu dizia lo quart de sa valensa.

I. Vous que j'aime et jamais rien ne m'a paru si beau que de vous aimer je vous supplie, les mains jointes, de me faire votre vassal, comme me le dit mon sentiment et mon intelligence. Celle-ci et l'amour et mon cœur sont tous contre moi pour me combattre; chacun me donne des forces pour me subjuguer ensuite, tant est grande la puissance qu'ils ont; et moi, j'accepte volontiers la souf- france qui m'éloigne de la joie.

II. Dame, vous par qui le monde reçoit de la grâce et de la douceur, vous qui tenez mon cœur captif, vous avec su me le trahir gentiment. J'éprouve de la tris-

44 M torna R a tornar 45 AE Encontra'l T Es contrai mal qe'm fa greu estenensa.

46 R E si saubes cals es ma captenensa 47 A' De cal guiza m'auzizon li sospir C sospir - - 48 C sufrir R Adoncx ben leu se pogr' esdevenir 49 C Que'm R Qu'ela m'agues calque reconoysensa 52 D Ni vau's querrer CT que penedensiers 53 D Mas mas chansons vos serai C li'n sian T ma cans 54 D A vos C Midons, per cuy IK fan tan gran M = 36.

55 C no serai 56 A Que sabrion IK Qe sabria o de AIR' messatgiers.

tesse et de la joie en pensant à vous; j'en perds la raison et je le sais bien. Et comment celui-là pourra-t il vous demander quoi que ce soit qui se décourage rien qu'à vous voir? Même quand je pense à vous, je crains le médisant. Celui qui ne parle pas, en quoi peut-il être mensonger? hame, je suis ainsi, c'est pourquoi je suis maintenant fort intimidé de vous.

III. - - Ma gracieuse dame, en fait et en apparence, je vous aime tant - si seulement j'osais vous le dire - que, si jamais un homme doit obtenir merci par amour, \ous devriez m'en accorder librement. Je viens, dame, accompagné d'Amour et de Merci; faites-moi donc merci, comme cela vous convient, Vielle dame; c'est tout ce que je désire et tout ce que je vous demande, et j'en ai tant besoin pour que Merci intercède pour moi auprès d'Amour.

IV. Jamais je ne pourrai croire que, même mort, je puisse être si bien guéri de mon amour que je ne soupire plus pour elle, et je ne crois pas que personne puisse sup- porter son refus constant dont j'ai une peur cruelle. Donc- si je meurs ainsi, quel avantage, quel bien en ai-je, puisque celle qui en est cause ne le sait pas? Le dirai-je ou non? Ah, je suis trop étourdi ! Ni moi ni personne ne lui porterons ce message; pensez donc comme elle en aurait souvenance.

V. Amour, vous faites lâcheté et tromperie quand vous venez me frapper, moi qui suis déjà vaincu, et que vous laissez sauve celle qui ne peut être convertie ni par la pitié, ni par vous, ni par le droit ou la reconnaissance. Mais si vous pouvez me faire aimer d'elle, rien ne vous sera impossible après cela. Il n'est pas si pénible de tra- vailler le froid acier que de me rendre favorable son cœur dur, et c'est ce qui m'est une si rude pénitence.

VI. Si celle dont le secours m'est si nécessaire, savait que les chagrins me tiennent tant au coeur, il lui serait bien facile de daigner me le tenir à mérite, en récompense de ma belle conduite; je lui ai offert mon cœur, seulement elle ne s'en souvient point; donc, par ma foi, ni elle ni moi ne l'avons plus, et je n'ose m'adresser à elle que comme un pénitencier; mais ma chanson sera mon interprète auprès de celle pour qui je m'impose une si rude abstinence.

VII. Je ne serai pas trop loquace en la louant, car on comprendrait de qui je suis le chevalier, si je disais le quart de son mérite.

X, BEN ES CAMJATZ ARA MOS PESSAMENS

Mss.: A (368), C (fol. 151, UG 788), D (397), F (113), / (fol. 83 a), K (fol. 66 d), M (189, MG 789), R (271), a (266), f (93). Dans J/ attribué à Gui d'Uisel.

Ordre des strophes:

123456 ACIKMRa

12345 ^ I2354 / (1)2 F (de 1 seulement le premier vers.)

Les dix rédactions de ce texte se répartissent en deux groupes, d'une part ADFIK, d'autre part CMRaf. Dans le premier groupe, IK vont ensemble aux vers 2, 5, 7, 18, 37, 38 et 49 et s'accordent avec D aux vers 13, 21 et 36. Il est donc évident que ces trois mss. ont ici comme ailleurs un original commun. D'autre part D reproduit au vers 6 la faute de A, bien qu'elle ait été corrigée ensuite par le copiste lui-même; il faut donc admettre (pie l'in- correction s'est trouvée dans le texte d'où sont sorties toutes ces rédactions et qu'elle a été corrigée également par l'auteur de l'original commun de IK. A, tout en présen- tant aux vers 4, 6, 10 et 41 des leçons particulières, se distingue au vers 10 avec F de tous les autres mss. C'est pourquoi je mets cette dernière rédaction en rapport avec A.

L'autre groupe se signale par la leçon no'us ans a/iai vezer au vers 38, pourtant C va avec les mss. du pre- mier groupe. D'autre part, CMf présentent au vers 42 une faute commune bon pour bel et aux vers 20 et 21 Cf vont ensemble. Pour expliquer cette ambiguïté de C, il faut supposer que le copiste, qui se distingue par une certaine indépendance, cf. p. ex. les vers ri, 19, 27, 31, 42, a eu sous les yeux, en dehors du ms. qu'il copiait, également une des rédactions du premier groupe. La place de CMf étant assurée par les accords indiqués, examinons enfin comment Ra s'alignent aux trois autres. A ce sujet, les textes offrent très peu d'indications. Du vers 21, ou, contre CJfRf, a s'accorde avec A, il faudrait cependant conclure que #, dans ce deuxième groupe, occupe une place à part. A en juger par ce même vers, R est apparenté à

('.)//, d'où il s'écarte pourtant au vers 42. Ce raisonne- ment m'amène donc à cette filiation des mss.:

O

I I A F

?h

I K

- C f M

Pour l'établissement du texte, je donne la préférence aux leçons représentées par A. Au vers 38 pourtant, je regarde comme la bonne leçon celle de MRaf, guit et anar me paraissant très bien se correspondre et la répétition de d mna n'étant pas probable.

I Ben es camjatz ara mos pessamens E l'aturs fraitz don me cujei tener Que non ânes mais ma domna vezer, Qu'ab aital genh me cujava défendre, 4

Mas aras sai, si merces no la vens, Qu'a Mon-Desir dei demandar ma mort, Qu'aissi m'en près quan de leis mi parti Quan me avenc per sa terra passar, 8

Qu'anc nom saubi de leis vezer gardar.

II Mas ren non sai si ses encantamens Que quan la vei de mi non ai poder, Qu'Amors lam fai tan blandir e temer 12

Que neis mos precs non l'ause far entendre,

2 D fraij^ M francs IK domna eugei R E l'autre fatz

4 f C'ab tal engienh A m'en 5 C merces non vens Ma non

la'n vens IK eras si 6 A ma mort demandar - 7 DR me

près A Car aissi'm . . . lui Ma lui IK ox parti / C'aissi m'es près

- 8 Ca Quan m'en PM/R Car m'en R Car me covenc /'tornar.

10 AF ges A si es/ E ren - 1 1 C non ai de me 13 DIR neus mos /> l'aus'eu R Cane . . . l'auziej far saber f Que sol mos

103

Mas ilh es tant aprez' e conoissens

Que sap triar d'amor lo dreit el tort,

E de mi sap que, depois anc la vi, 16

Nom venc en cor d'autra domna preiar,

Ni nuls maltraitz no la"m fetz oblidar.

20

III Tantas penas n'ai sofertas cozens, Per que douz gaugz m'en deuria escazer, Pero ben sai no lam cal plus temer, Que, si merces ja deu en leis dissendre, Ben es razos. E valham chauzimens,

Bona domna, quem detz joi e déport 4

Si queil esglai se partan tuit de mi, Car bern podetz las perdas esmendar, Sim retenetz a vostre benestar.

28

IV Car de las très melhors etz plus valens, Per que no'm part de vos, mon Bon-Esper, Mas tan d'orgolh faitz contra mi parer,

Per qu'eu volgra vostra beutatz fos mendre, o2

E si volh far tan vostres mandamens

Que cascun jorn prec Deu e clam moût fort

14 R conoyssent; le vers est partiellement effacé dans A 15 a los bes e*ls tortz 16 M Qar F qe anc pos q'eu la vi f c'anc depueis qu'ieu a de mas ij I non venc 18 IK nuillz mais trag DRf nuills mais traigs M nuilh mal trait no'm la a no Ion

19 C iras -- 20 C Per q'us f Per que'us gang M gaug - 21 Cf Que per aisso non DIK Per so de sai R Pero d'aysso no M Pero de sai no - - 22 R merces denha f Que si ja deu en lieis merce 23 Ma sazos R valhanz 25 Caf parton M parton si 26 MRa ben f Qu'aissi'm 27 C al vostre.

28 a plazens 29 D per qe non Af Per qu'ieu non 31 C beutat 32 R E vuelh . . . comandamens f vostre mandamen 33 a clam Dieu e prec M prec e clami I K prec e clam Deu A' clami e prec Dieus fort

i 04

Que'us met' en cor qucm fassatz bona fi, Qu'ab vos guerrei a cui no m' aus tornar, Ni sai fugir ni pose pro encaussar. 36

V Aras sui tan, domna, vas vos temens Que ses bon guit nous aus anar vezer; Tal paor ai que- m volhatz decazer, Mas tôt enans ne cug bon segur prendre 40

E sains Johans deu m'en esser guirens Que d'un bel dit ai trait tan bel conort; Mas doptos sui sii disses enaissi

Com e'us deman et irai o proar, 44

E vos digatz nel ver, si Deus vos gar.

VI A ma domna fai la razon entendre, Chansoneta, e pois vai e non len

A Mon-Desir, que pens de mon conort 48

Tôt enaissi com sap que 1 tanh a far, Els companhos sapchas me saludar.

34 M Qe'us men' en cor R que fassatz 35 AM non aus A' Can vos 36 DI Ni aus K Ni fugir f pro'm encaussar

37 IK domna vos temens f ves vos, domna, temens 38 A CD guit, domna, no'us aus IK guit no*us aus vezer 40 D me cuich R penre af pendre 41 CR sanh Johans a san Johan IK Joan A devia'n 42 C bon acort Mf bon conort R trag . 1 . bel 43 a Mas de près 44 M e Tirai a Qon ieu deman f Con ueu enten 45 A1 me'l f m'en ver.

a donne, avant la formula , //;/(• sixième strophe: Ja de preiar no serai recrezentz, S'era merces no'm adutz a bon Tro qe merces vos fassa dire ver, port,

Et ora mais merce devetz aver E s'amic ai de preiar no's thaï, Forz'e merces l'orgoillos cor d'à- Car qi merce pot a vos acabar prendre; No'm pot estiers mai tant bon

Se non, ieu liai la mort entre gazaignar.

las dentz,

48 .-/ vvoill c'anes far entendre a ma razon 49 1 K vai t'en non A' intercale devant ce vers de mon gaug cai dos dezirs m'aussis 50 A qe'il (" que tanh.

i°5

I. Bien est changée ma pensée, brisée est la ré- sistance que j'opposais au désir d'aller voir ma dame, car avec une telle ruse je pensais me défendre. Et maintenant je sais (pie si elle n'est pas vaincue par la pitié, je n'ai qu'à demander la mort à Mon-Désir; je l'ai senti bien fort en la quittant une fois qu'il m'arriva de passer par sa terre, car je n'ai pas compris qu'il fallait me garder de la voir.

II. Je ne sais pas si c'est par enchantement qu'aus sitôt que je la vois, je ne suis plus maître de moi-même, car l'Amour me rend si soumis et si craintif envers elle que je n'ose même pas lui faire écouter mes prières; mais elle est si expérimentée et si habile qu'elle sait distinguer le droit et le tort dans l'amour; et de moi-même je sais que depuis que je l'ai vue, la pensée de m'adresser à une autre dame n'est jamais entrée dans mon coeur et que nul mauvais traitement ne me l'a fait oublier.

III. J'ai souffert tant de peines cuisantes qu'une douce joie devrait me tomber en partage, mais je sais maintenant qu'il ne me faut plus la craindre, et cela est bien juste, s'il arrivait qu'elle eût enfin pitié de moi. Que votre clémence me soit de bon augure, nolle dame, pour me donner joie et plaisir de sorte tous mes chagrins me quittent, car vous pouvez bien me dédommager de mes maux, si vous avez la gracieuseté de me garder auprès de vous.

IV. - - Car des trois meilleures vous avez le plus de mérite, c'est pourquoi je ne vous quitte pas, mon Bon- Espoir; mais vous faites preuve de tant d'orgueil envers moi (pie je voudrais (pie votre beauté fût moindre; et pourtant je désire tant faire vos commandements (pie je prie Dieu et le supplie chaque jour avec ferveur qu'il vous mette dans le cœur de me montrer bonne foi, car je me trouve en guerre avec vous vers qui je n'ose pas lever les yeux, et je ne puis ni fuir ni poursuivre mon avantage.

V. - Encore suis-je si timide en votre présence, dame, que je n'ose vous aller voir sans un bon guide, tant j'ai peur ([lie vous ne vouliez me perdre, mais d'autre part je crois avoir bonne garantie c'est saint Jean qui est mon garant et cette bonne consolation, je l'ai trouvée dans un mot aimable, mais je doute qu'il dise ce que je vous demande et ce que je continuerai à vous demander; c'est à vous d'en dire la vérité, de par Dieu.

I

\ I - Chanson, porte mes paroles aux oreilles de nui daine; puis va, et non lentement, à Mon- Pair, et dis- lui de penser à mon conori1 comme il sait qu'il lui convient de le faire, et que tu saches saluer les amis de ma part.

XI. QUAN LA NEUS CHAI E GIBRON LI VERJAN

Ms.: C (fol. 154 c). Imprimé d'après ce ms. par Appel, Prov, Inedita, p. 285 et suiv.

I Quart la neus chai e gibron li verjan

Dei melhs chantar que quart la flors s'espan,

Qu'en tal amor ai virât mon demor

Quem toi esmai cm te gai e prezan

Per sol l'esper qu'ai d'un joi quem sofer. 5

II Mas a per pauc nom sui laissatz de chan Per la falsa quem trazic ab engan; E mostret i a las autras mal for; Mas a sa part en retenc Tant' el dan E tal blasme don ja ses leis non er. 10

III Per so la lais eis covens li desman Qu'en mi non a part ni dreit ni deman, Qu'a plus valen do et autrei mon cor

E, s'a leis platz quel prend' en son coman,

Bem fai Amors l'esmenda quel cors quer. 1 5

IV Mas la bêla non sap ges mon talan Qu'eu no l'aus dir ni nol n'ai fait semblan, Mas be sapcha per ver quel seus nom mor,

1 Jeu de mot. Conori doit avoir ici la double signification d'une sorte de poésie et de «encouragement . consolation », c'est pourquoi je garde le ternie provençal.

Si nom acorr el désir nom escan;

E car die tan, ja nol sia de fer. 20

V Per aissom vauc de s'amor conortan, Car non a cor camjador ni truan; E per so crei que n'issirai a-z or, Car paupres hom se met tant en afan Qu'ab gen servir bon guizardo enquer. 25

VI Qu'eirl servirai oi mais, cossi que m'an, E serai li leials e ses engan

Melhs qu'Elena no fo al frair Ector,

E, s'a leis platz, mon servir nom soan,

Qu'anc non amet Hero tan Leander. 30

VII Gari, oi mais servirai de bon cor

A tal domna que no eug quem engan Et atendrai del guizardo quais er.

I. Quand la neige tombe et les branches se cou- vrent de givre, je dois mieux chanter que lorsque la fleur s'épanouit, car l'amour dans lequel je cherche mon bonheur, me prend mon découragement et me rend joyeux et fier par le seul espoir d'une joie qui me soutient.

II. Mais peu s'en faut que je n'aie cessé de chanter à cause de la perfide qui me trompa si cruellement; en faisant cela, elle donna un mauvais exemple aux autres, mais elle a retenu comme sa part la honte et le mal et un blâme à n'en laisser rien aux autres.

III. Pour cela je la laisse et je retire ma promesse; elle n'a aucune part en moi ni aucun droit sur moi, je ne lui dois rien, car je donne et je promets mon cœur à une plus noble, et s'il lui plaît de me prendre sous ses ordres, l'Amour me donnera bien la compensation que cherche mon cœur.

IV. Mais la belle ne connaît pas mon désir, car je n'ose le lui dire et je ne le lui ai jamais découvert. Mais qu'elle sache bien que son serviteur mourra, si elle n'a pas

ioS

pitié de moi et qu'elle ne m'accorde pas mon désir; qu'il ne lui soit pas désagréable que je <lisc- tout cela.

V. - Si je me vais réconfortant de son amour, c'est qu'elle n'a pas le coeur changeant ni vil, et je crois que j'atteindrai mon but, car un homme pauvre se met tellement en peine qu'il peut demander une bonne récompense en servant fidèlement son maître.

VI. Et je la servirai désormais quoi qu'il m'arrive, et je serai fidèle et sans perfidie à son égard, plus qu'Hé- lène ne le fut pour son frère Hector, et qu'il lui plaise de ne pas dédaigner mon hommage, car Héro n'aima jamais tant Léandre <pie j'aime ma dame.

VII. Garin, désormais je servirai de bon coeur une dame qui, je le crois, ne me trompe pas, et j'attendrai ma récompense quelle qu'elle soit.

XII. VERT SON LI RAM E DE FOLHA CUBERT.

Ms.: C (fol. 153). Imprimé d'après ce ms. par Appel, Prov. Inedita, p. 291 et suiv.

I Vert son li ram e de folha cubert, El rossinhol aug chantar el désert Autet e clar, per que retint la barta, Que sobr'auzels apar lo seus chantars, 4

El pretz, mi dons, es sobr'autras plus clars, Per que mos cors nom ditz qu'eu ja m'en parta.

II Grans es lo jois que de lai mi revert,

Per qu'en s'amor ai mon cor fort e cert, S

Car ben conosc qu'ab mal genh non s'issarta,

Ans es vas mi sos talans ferms e clars,

Per qu'en s'amor er tostemps mos pensars,

E per aisso fassam metr' en sa carta. 12

III Si' m tenon près li seu bel douz esgart, Non ai poder quem vir vas autra part,

109

Ou'anc pois mos cors no camjet s'esperansa.

Mas aram son tan li désir cregut 16

Que re non sai com sion sostengut,

Si per merce ilh nom fai amparansa.

IV E pus li platz quem retenh' a sa part,

A leis mi do liges ses tôt regart, 20

Que ja d'aquo non aia mais duptansa,

Qu'eu ja mon cor de leis biais ni mut,

Enans l'am mais, s'ela'm gart ni m'aiut,

Xo fes Andreus la reïna de Fransa. 24

V D'ir' e d'esmai, domna, m'avetz estort Pel bon coven on ai tôt mon conort, Que, quant esgart la vostra gran valensa, Eu velh la noit quan deuria dormir, 28

E pens soven si pot esdevenir Que vos m'aiatz tan granda benvolensa.

VI Fais lauzengiers, Deu prec queus gart de mort, Car, si pocsetz, agratz mi fait gran tort, 32 Mas arami platz la vostra malvolensa,

Qu'ades vos vei e secar e languir,

Car ma domna mi denha aculhir,

E car li platz qu'Amors vas mi la vensa. 36

VII Mos Garis, vei qu'ades melhur' e gensa, Et eu prec Deu quem lais esdevenir Qu'a mon Bon-Cor pose' una noit servir,

Que d'autr'amor sol non ai sovinensa.

I. Les rameaux sont verts et couverts de feuilles, j'entends le rossignol chanter dans la solitude, sa voix s'élève, haute et claire, faisant résonner le taillis, sur-

V ms. dieus.

passant le chant de tous les autres oiseaux. Ainsi le mérite de ma dame surpasse celui des autres dames; voilà pour- quoi mon cœur me dit de ne jamais la quitter.

II. Grande est la joie qu'elle fait repousser en moi; aussi ai-je mon cœur ferme et sur dans son amour, car je sais bien qu'elle ne défriche pas maladroitement mais que le sentiment qu'elle a pour moi est sincère et franc. J'aurai toujours dans l'esprit mon amour pour elle; qu'elle mette donc mon nom sur sa carte.

III. Tant ses beaux doux regards me tiennent pris pie je n'ai pas la force de m'adresser autre part, car après l'avoir vue, je n'eus en mon cœur d'autre espoir; mais maintenant mon désir s'est si accru que je ne sais comment le supporter si, par sa merci, elle ne me fait grâce.

IV. Et puisqu'il lui plaît de me retenir pour sa part, je me fais son homme lige sans aucune réserve; qu'elle ne craigne plus que jamais mon cœur change ou se détourne d'elle; je jure, par son amour et par sa protection, que je l'aime même davantage qu'André n'aima la reine de France.

V. Belle dame, vous m'avez délivré de tristesse et de désespoir par la bonne promesse dans laquelle je trouve toute ma consolation, car lorsque je pense à votre grand mérite, la nuit, quand je devrais dormir, je reste sans som- meil, et je me demande sans cesse s'il est possible que vous me montriez une si grande bienveillance.

VI. Faux envieux, je prie Dieu qu'il vous préserve de la mort; si vous aviez pu, vous m'auriez fait grand tort. Mais maintenant votre malveillance me plaît, car je vous vois sécher et languir parce que ma dame daigne me faire bon accueil et parce qu'il lui plaît (pie l'Amour vainqueur incline son cœur vers moi.

VII. Mon Garin, je vois qu'elle me devient plus favorable et plus deuce et moi, je prie Dieu de permettre qu'une nuit je serve mon Bon-Cceur3 car d'un autre amour je n'ai même pas souvenance.

XIII. LO CLAR TEMPS VEI BRUNEZIR.

Mss.: A (371), C (fol. 152 c), D (399), ^(114), / (fol. 82 b), A' (fol. 66 b), W (fol. 192 c), a (191). Le sixième couplet imprimé, d'après C, par Raynouard, V, p. 380; le

poème entier se trouve dans le Parnasse Occitanien, p. 200. Attribué à Peirol dans a, anonyme dans IV. Ce ms. donne la notation musicale de la pièce.

Ordre des strophes:

1234567 ACDa 123456 IK 1 W

(1)56 F (de 1 seulement le premier vers)

C et a vont souvent ensemble contre tous les autres mss. ou contre plusieurs d'entre eux et forment donc une branche indépendante, cf. les vers 24, 28, 35, 36 et 51. F a plusieurs leçons en commun avec DIK, W dépend de A. Dans l'original de C, le cinquième couplet a manquer, de même le deuxième dans l'original de a; pour compléter leur rédactions, les copistes se sont servi d'autres mss., celui de C d'un ms. présentant en somme les traits de A, celui de a d'un ms. du groupe DIK; c'est ce qui explique la ressemblance des rédactions a et C avec DIK et A resp. aux vers 10 18 et 37 45. La filiation des mss. est donc la suivante:

O

D

IK

I I

W

Le texte critique s'appuie en général sur AC. Dans les couplets 2 et 5 le choix des variantes est assez arbi- traire. Je prends dans chaque cas spécial celui qui me paraît donner le meilleur sens au vers.

I Lo clar temps vei brunezir Els auzeletz esperdutz, Quel fregz ten destreitz e mutz

2 W Les 3 If Per freit quis destraig sunt mus

E ses conort de jauzir;

eu que de cor cossir 5

Per la gensor ren qu'âne fos, Tan joios Sui qu'ades m'es vis Que folh' e flors s'espandis. 9

II D'amor son tuit mei désir, Qu'a leis servir sui rendutz, E pois tan d'onor m'adutz, Ben o dei rai donz grazir: Quel melhs del mon sai chauzir,

Sis fera cascus de vos 15

Yolontos, Si" us aculhis La bêla cui sui amis.

III Sos amies sui e serai

Aitan quan la vidam dur, 20

E non crezatz qu'em peiur, Abans mi melhurarai, Ou'el pais on ela estai Lai jonh mas mans et acli

Ab cor fi, 25

E lai vir soven Mos olhs, tan l'am finamen.

4 a E non an soign desiauzir AU' desiauzir 5 DIK Doncs . . . sospir //' Mais. ..en joi g C espandis IV resplen- dis a reverdis //' flor D folors.

10 C cossir DIK En amor son mei cossir a En amor son mei - il DIK Cal sieu plazer son 12 DIKa tan rie joi - 13 C Ben 0 dey a Dieu DIKa A mi donz o dei 15 a Si - 17 ./ Si lo a Si vos 18 CD aclis.

19 C amicx li suy a Amis 20 A cum 21 A q'ièu / que'n A" que'm DIK cuides a no'us cudes q'eu 22 C m'en a Enantz /' Enoi mi meillura 24 C Azor sopley et a Mire soplei e 26 IK viu a vir lai 27 a Los oills qc- als non enten.

"3

IV Ailas! Quai destreitam fai De leis vezer tors e mur,

Mas en aisso m'asegur 30

Per un messatgier qu'eu n'ai, Mon cor, que soven lai vai E conortam enaissi

Qu'endreit mi Non au ni enten 35

Precs d'amie ni de paren.

V D'aitan n'ai un bon confort Que vas autra nom destolh, Ni a nulla nom acolh

Que mi deman dreit ni tort; 40

Que la bona fes que'il port A si mon coratge assis, E devis Qu'eu non ai poder De nul' autr'amor voler. 45

VI E s'eu en die mon conort, No m'o tengatz ad orgolh,

28 Ca Ai Dieus CDIK tal 29 A ab mur C tor / murs a A leis 30 A d'una ren DIK Mais d'aitan m'en a. 31 a En un 34 C Que mais mi 35 C No vol ni au ni enten a No*l voill ni enten 36 A Amie ni precs ni paren C Amie ni prec non cossen a Amix ni precs no cossen.

2)7 F Q'en lei hai pausat ma sort DIK En lei son tuit miei confort a Tant lai assis mon confort 38 F E DFIK de las autras mi toill a Qe per nuill autra no'm dueil 39 F Et C nulh' autra non a Ni autr'amor no'm acoill DIK C'autra non am ni non voil 40 A Q'en mi non a dreich ni tort DIK Que ja'l deman drey ni tort F Qe'm posca dar a Dont ja'l fassa 41 a Qar F Mas 42 DIK M'a ssi a coratge pris AC mon voler - 43 A E'n a A 44 a Qe qant siu jazer 45 AC Qu'autr' amor puesca voler a La cuig e mos bratz tener.

46 AF vos die Da si'us

i i4

Que tan La désir e volh Que, s'er' en coita de mort,

Non queri' a Deu tan fort rQ

Que lai el seu paradis M'aculhis Com quem des lezer D'una noit ab leis jazer. r4

VII Si com eu die ver,

Mi don Deus de leis poder.

I. Je vois le temps clair s'obscurcir et les oiseaux troublés, car le froid les tient dans sa prise, muets et sans espoir de joie; et pourtant moi qui porte dans mon cœur le rêve de la plus belle chose qui fût jamais, je suis si joyeux qu'il me semble que les feuilles et les fleurs s'épa- nouissent.

II. Tous mes désirs sont d'amour, car je suis tout à la servir, et puisque je lui apporte un tel hommage, ma dame doit bien l'accepter; car j'ai sir choisir ce qu'il y a de mieux au monde, et chacun de vous serait empressé (d'agir comme moi), si la belle dont je suis l'ami vous acueillait.

III. Je suis son ami et je le resterai autant que la vie durera; et ne croyez pas que j'empire; au contraire, je deviens meilleur, car dans le pays elle se trouve, je joins les mains et lui rends hommage d'un coeur fidèle, et j'y tourne souvent mes regards, tant je l'aime d'une manière accomplie.

IV. Hélas! Quelle peine cela me fait de voir ses tours et son mur! Mais je me rassure, car j'ai un messa- ger, mon cœur, qui y entre souvent, et il me console si

48 A tant vos . . e'us C ta fort l'am e la PI K Car eu l'am tant e la a Qar aitan l'am e la 49 C cochatz de DFIK sera coita a confes de mort 50 A a Dieu - 51 Ca Que layssus cm 53 DIK E qe'm a O qe'm 54 A ab vos DIK ab si.

55 56 seulement tlmis ACDa; 55 P l>i - 56 A île VOS ( ' ab lieys jazer.

n5

bien que je n'entends ni n'écoute les prières de mes amis ou de mes parents.

V. J'en éprouve une telle consolation que je ne me détourne vers aucune autre et que je ne m'engage avec personne qui me demande quoi que ce soit, car la bonne foi que j'ai en elle a si affermi ma pensée, et j'assure qu'il n'est pas en mon pouvoir de désirer nul autre amour.

VI. Et si je dis la joie que j'en ai, ne le tenez pas pour de l'orgueil, car je la veux et je la désire telle- ment que si j'étais en peine de mort, je ne demanderais pas plus instamment à Dieu de m'accueillir dans son para- dis que je le prie de m'accorder une nuit avec elle.

VII. Aussi vrai que je dis la vérité, faites, Seig- neur, qu'elle se rende à mon désir.

NOTES

1

Forme. 4 coblas unissohans de 10 vers, avec la formule (Mans, 266, 11 nie uni :

a 10 b 10 a' 10. h S a 10 b S c 10 c 10 et 10 et 10.

Comme il ressort des deux premiers couplets, il y a aussi d'autres mss. que C, les 4e et 6e vers de chaque couplet ont compter originairement deux syllabes de moins que les autres. Plus tard un copiste quelconque, voulant amener tous les vers à la même longueur, a faussé la mesure des vers 24, 26 et 36, qui sont incorrects dans le ms. Le correcteur a mal réussi au vers 36 comptant, dans C, seulement 9 syllabes. Dans le texte qu'il a établi, Suchier a allongé ce vers d'une syllabe, ce qui me paraît inadmissible; c'est le contraire qu'il aurait fallu faire; on doit ra- mener tous les vers en question à l'état d'octosyllabiques, et je propose, dans les trois cas, des corrections en vue de restituer la mesure originaire.

4 5 Car aqitist antic trobador . . . die que fort son peccaire. Cette façon de faire ressortir une idée appartenant à une proposi- tion subordonnée s'observe fréquemment dans l'ancien provençal; voir là-dessus Stimming, Bertran de Boni1, p. 236, Stronski, Elias de Barjols, p. 47. Nos textes offrent encore quelques exemples de la même construction, ainsi III 67 Chansos, mos Garis volh t'a firenda; VII 20 II ja socors non ère que' ni fass' adora; Yll 34 Qu'autre conort non ère que n'ai' aora.

Peccaire ici à cause de la rime; c'est une liberté que se permettent souvent les troubadours, cf. Stimming, e. !.. p. 240.

7 a prersen doit signifier ici ainsi qu'au vers [8 «ouvertement»,

publiquement . Flamenca oppose la locution à a rescosl, a ee'at.

\. 0457 /•,"/ a présent et a rescost, V. 6722 Car a présent ab lui

parleron l'.t a eelat . . . Pour d'autres exemples, cf. Levy, Sltppi. //'.

ii7

i8 a prezen; le même mot à la rime qu'au vers 7. Raimon- Jordan fait preuve à cet égard d'une certaine négligence; des ré- pétitions se trouvent dans toutes les pièces, excepté VIII.

24 Le ms. porte ici Ho tuzonon, on a voulu voir un verbe tu zona?- pour tizonar = «tisoner-, cf. Raynouard, Lexique, V, p. 367. Un tel verbe ne se trouve cependant pas ailleurs, cf. là-dessus Levy, SuppL-W., Tizonar. Aussi Suchier propose-t-il dubitativement de lire Hocaizonon, en y voyant donc le verbe ocaizonar= «blâmer», «reprocher1, ce qui ne satisfait ni le sens ni la mesure du vers. A mon avis, la leçon originale a pu être Se'n anon, forme mutilée ensuite par le scribe correcteur. Sur le verbe ocaizonar, cf. encore Naudieth, Guilh. Magret, p. 143.

25 28 Période très mal construite; le que du vers 25 = ■car»; arrivé à la fin de la phrase qui nous offre l'élément de comparaison, le poète à oublié le début du passage; il la reprend fautivement par les mots et cl, qui, tout en renforçant l'expression, ne s'accordent pas avec le commencement; ainsi le sujet Morcabrus n'a apparemment pas de prédicat. Par une traduction qui s'écarte un peu de l'original, j'ai essayé de rendre, d'une manière plus logique, l'idée que le troubadour a vouloir exprimer.

30 enfansa prend ici un sens collectif = «les enfants .

32 alhor = «autrui", comme souvent; cet adverbe désigne une personne encore II 6; sur cette particularité cf. Stimming, Bertran de Boni, note du vers 38,13. Parlar d alhor = «parler d'un autre- se trouve Crois. Alb., 2887, cf. Levy, Suppl.-W. De même, lai s'applique à la dame chantée par le poète IX 3 Lai jonh mas mans, XII 7 G /ans es lo Jois que de lai mi rêver t.

36 auctor. Ce mot signifie ordinairement témoin , garant", sens qui ne convient pas à cet endroit. Bien que le vers ne soit pas conservé sous sa forme correcte, le sens en semble clair. Evidemment, le poète veut justifier son idée, à savoir qu'on doit se défendre mutuellement, en rappelant notre commune origine à tous. D'après cette manière de voir, auctor doit signifier «auteur^ premier», origine'; c'est sans doute un latinisme, ce dont se res- sent peut-être la graphie du mot.

37 far razonamen = "s'attacher à la cause de qn , «défen- dre ; cf. Elias Barjols VI 38 eus sur de ben razonaire.

38 no m'a reptes m'en. La construction de reptar étant tou- jours reptar alcun de aie. re, il faudrait voir dans 0 le sujet de la

I IN

phrase, construction exceptionnelle dont voici un autre exemple: Peire Vidal XII 33 ... . Dejtos la vi, et ençuer si m'o te «et 1 1I.1 8ure encore .

Il

Forme. 5 coblas unissonans de 8 vers, suivies d'une tor- nade, et dont voici la formule Maus, 535: 20 : a b b a c c d d 10 syll.

1 1 e quan mi ficus. Comme dans les autres langues roma- nes, l'anc. provençal connaît l'emploi réfléchi d'un certain nombre de verbes intransitifs ou employés comme tels, construction traitée par Tobler, Verm. Beitr., IP, p. 70 et s., M.-L., Gramm, nom., III, § 384, etc. Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans un examen approfondi de cette construction intéressante dans laquelle le pro- nom réfléchi représente ou bien un régime direct ou bien un datif. Comme le phénomène, en ce qui concerne le provençal, n'a été sujet que de mentions passagères, qu'il me soit toutefois permis de citer quelques séries de verbes présentant cette construction: pensa/; consirar, albirar, cuidar, voler, oblidar, regardai-; dire, rire, chantar, tazer; esser, estar, endevenir, morir, anar, venir, issir; aver, faire au sens de être» et de «dire», cf. de Lollis, Sarde/, p. 276, P. Meyer, Flamenca, le gloss.; comensar, cessa/; laissa/:

En somme, l'usage est donc le même qu'en anc. français. Dans un cas particulier cependant, la construction prend, en pro- vençal, un développement que ne connaissaient pas les dialectes du Nord, mais qui se retrouve dans plusieurs autres langues; c'est que le se en question s'introduit près de verbes désignant une convenance ou une occurrence et que ces verbes conser- vent cette construction dans l'emploi impersonnel, cf. suéd. det passar sig, det hander sig ait .... allem. es passt sic//, etc. Nos textes offrent un exemple de se covenir, IX 24 Merce notais, que merecs si cove. Il y a la même construction dans Folq. M. 18, 59 be's taing, tan es rix lo dos, qu'ait al s sidl guizerdos, Guill. de Mont. 4,29 quaurfres a dompnas non s eschai ; Peire Vidal 8,58 mas bc/s parers I volh far a/s fi/os. quan s'esdeve; Enf. de Jésus 'Appel. C/ir. 9,109) ni que se so endevengutz. Et voici enfin une série de constructions impersonnelles inconnues au français: R.-J. III 34 Mas nos cove de/ ///eu pa>- qu'ans parlar; Elias de Barjols 4,30 q/i'aissi s eschai c si cove; Folq M. 3.10

ii9

no s'eschai qu al sien mandamcn sia mos sabcrs flax ni lais; 7. 28 cl gazardos er allais quotn s'eschai; P.-R. de Toi. 3, 5 Bc s tanh qu'ieu me lueng d'enueg; 4, 18 No' s tanh que m recreia; 14, 25 De paratge no suy ni de ricor , que j a m tanhes quel fes damât pari>en; Joies Gay Saber 34, 27 ans de mis tanh eslre per /'os castiat ; Folq. M. 5, 26 manhlas vetz s'esdeve qu'ieu no sai que; 8. 42 e no sai cossi s'esdeve de mon coi-; Biogr. de R.-J.. p. 249 et avenc se que...; Saint Patrice 168 Endevenc se que. ieu estan am lo papa, lo sobredig rey don Johan .... cf. Peire Vidal 11, 40; 40, 23 (tanh); P.-R. de Toi. 16, yj (taing); Folq. M. 1. 3; 14, 39 (tanh); Flamenca 1595, 4759 (tain).

23 Mas doit avoir ici le sens de et», ce qui est fréquent, cf. Levy, Sufipl.-W. Le même sens se trouve encore X 5. quer. Contre tous les mss. j'introduis dans le texte critique la forme non diphtonguée, la seule qu'ait pu employer Raimon-Jordan.

24 rie assai = belle entreprise ; cf. Uc de Saint-Cire XIII 8 folh assai, que M. Jeanroy traduit par folle entreprise . Le sens de assai s'atténue parfois au point que le mot en vient à signifier simplement acte ; sur ce développement de sens. cf. Coulet, Montanhagol, p. 115, Jeanroy, Uc de Saint-Cire, p. 178.

32 Tan sui eu fis est la leçon de CDIKMT, et j'attri- bue à l'adjectif le sens de sûr . ohne Falsch Appel, Chr., 78, 40, donc de cœur fidèle , constant. Cette variante pré- sente décidément l'emploi courant de l'adj. fi(n). Si celle de AB était la leçon de l'original, on s'expliquerait mal la substitution de celle-ci à la leçon de l'autre groupe.

43 S' al cor marrit no li tome en /ai. Je choisis ici la leçon de AB qui est appuyée par DMT. Si on admet la forme tome, il faut voir ici une tournure impers, de l'ordre de celles examinées plus bas, p. 127 et s.

III

Forme. 6 coblas doblas de 1 1 vers, suivies d'une tornade de 2 vers, et dont voici la formule:

a 7 a 3 b 5 b 3 c7 cj dj d 3 cj cj c 3.

C'est donc une forme de la cobla encadenada à laquelle s'ajoute un dernier vers impair, d est unissonans, toutes les autres

rimes son! géminées. Selon Mans, qui indique incorrectement la formule i t. p. 102, le 160, la même disposition strophique ne se trouve pas ailleurs.

3 senh ici de cenker cingere. Le ms. C confond souvent

l et 1 à l'initiale, notamment dans les formes du pronom dé- monstratif; ainsi C I 8, 23 silh, 1 30 se/h, II 1 selk, IX 15 selk, etc. Pour le sens, cf. At de Mons 1 10 11 E senker j>er po- tier Uamor en manias parte. L'amour est donc conçu comme un lien qui étreint le cœur du poète.

1 2 La leçon du ms. est évidemment incorrecte. Appel pro- pose de lire m'ai estort; cependant, vu le fait que le ms. C n'ob- serve pas les règles de la flexion et que notamment la forme du cas régime fonctionne fréquemment comme sujet, il me semble plus probable que c'est le cas ici; mos cors n'amenant pas de correction matérielle, je préfère cette explication.

19 20 e métrai l 'm al seu chauzimen. Il y a des exemples fréquents de ce phénomène, qui consiste à faire commencer un vers par un mot enclitique s'appuyant sur la voyelle finale de la rime du vers précédent. 11 se produit de préférence après une rime féminine, comme il ressort des exemples réunis par Henges- bach, Beitrag zur Lehre von der Inclination im Prov., pp. 7 8, et dont un seul présente cette particularité après une rime mas- culine. Il y en a un autre chez Guillaume IX VII 45 e vtielh que d'aquest lau 'm sia guirens. Ajoutons que les Leys blâment ces deux vers de At de Mons II 603 4., l'inclination a

été en effet écartée par l'éditeur: trebalh, per obs de rida' !

L gênerai texte cr. gênerais per gracida, Anglade, Leys, III, p. 66.

20 chauzimen ici = «pouvoir . discrétion», cf. C IV vu p. 76 Eras m'en re/i ai vostre chauzimen. L'évolution sémanti- que du mot chauzimen est étudiée par M. Jeanroy, l V de Saint- Cire, p. 181 et s., se retrouve le dernier de nos deux passa- ges, cité comme exemple de la dernière étape de l'évolution sé- mantique du mot. Le sens antérieur égards , pitié , clémence se rencontre IV 39 faretz chauzimen.

34 Mas nos couc ; sur l'emploi impersonnel réfléchi de ce verbe et d'autres, voir note du vers II II.